mardi 13 novembre 2012

Lutter contre le Front National dans les territoires ruraux et périurbains par l’action publique et la décentralisation


«A la campagne et dans les petites villes, faire de la politique, ce n'est, le plus souvent, que haïr son voisin
Comte de Belvèze


La Présidentielle 2012, bien que remportée par François HOLLANDE, a été marquée par une forte montée du vote Font National (FN) le soir du 22 avril. Même si son score n’a été que de 17,90% au niveau national – score historique, jamais atteint par les frontistes – ses résultats ont été encore plus forts dans les zones rurales et périurbaines.

Il faut essayer de comprendre les ressorts du vote FN. Certains le qualifient de vote raciste, ont-ils tord ? Mais est-ce alors un racisme idéologique ou un racisme de circonstance ? L’explication idéologique est assez ténue, même si le racisme des électeurs FN est latent dans leurs propos. Il faut plus analyser ce vote comme un cri de rage, de révolte envers le système : un vote sanction envers les partis républicains. Cette analyse se colle assez bien aux ruraux et périurbains qui, dans leurs témoignages, expriment leur colère envers le sentiment d’abandon qu’ils peuvent avoir.

Le vote Front National est donc l’expression d’une fracture territoriale dont souffre les ruraux et les périurbains. Ce sont leurs peurs, leur mal-être social qui s’expriment dans ce vote extrême dans un appel au secours face aux crises actuelles.

L’enjeu de cette note est donc de comprendre par quels ressorts est motivé ce vote frontiste dans les espaces ruraux et périurbains – faudrait-il dire « rurbains » ? – et de comprendre quelles peuvent être les failles de l’action publique qui ont mené à cette situation. De plus, dans les cinq ans impartis à la gauche au pouvoir, il est important de réfléchir à comment, par une nouvelle vision du service public et, potentiellement, une nouvelle organisation territoriale de l’action publique, il est possible de lutter contre la montée des extrêmes dans les milieux ruraux et périurbains pour pacifier la société française.

I Un vote FN qui s’implante dans les territoires ruraux et périurbains

Comprendre le vote FN, c’est comprendre ses électeurs. C’est considérer que ce vote est un phénomène structurel des zones rurales et périurbaines qui répond à une situation sociale donnée et à un corpus de valeurs dominant dans ces milieux. Cette analyse structurelle pourrait être critiquée pour son manque de considération pour la liberté de pensée et de vote des gens. Tout au contraire, de cette situation structurelle naît un besoin de liberté, la liberté de dire « merde » au système. Mais avant de le comprendre, il faut le considérer et l’entendre.

1°) Aspects chiffrés

Quelques chiffres peuvent permettre de cerner l’ampleur du phénomène dans les zones périurbaines et rurales. Malheureusement les deux ensembles ont tendance à être traités séparément alors que l’on peut considérer que le même phénomène a cours dans ces zones.

Un sondage IFOP publié le 28 février 2012 dans Le Monde a souligné la corrélation positive entre l’éloignement des centres urbains et le vote FN. Ainsi, il apparait une zone périurbaine entre 35 et 65 km des centres-villes où le vote Marine LE PEN est beaucoup plus élevé que la moyenne nationale.

De plus, concernant la typologie des nouveaux bastions du vote, l’étude de l’IFOP du 3 octobre 2012, qui fait un focus sur les villes que pourrait conquérir le FN en 2014, en se basant sur les scores de 2e tour des législatives 2012, révèle que les communes où le score du FN dépasse 50% sont en majorité des villes de 2 000 à 15 000 habitants (excepté Hénin-Beaumont). Ces petites villes sont l’interface entre un monde périurbain éloigné des grands centres et une ruralité diffuse. On peut noter que ces espaces souffrent d’une désertification croissante des services publics issue des deux derniers gouvernements.

Enfin, les différents témoignages des Français concernés sont révélateurs d’une population qui souffre de la crise et d’une fracture territoriale galopante. Le blog Une année en France, du site du Monde, met en lumière deux de ces espaces délaissés par les pouvoirs publics et en proie à la défiance envers la République et ses institutions. Ces deux communes sont :
  • Avallon, 7 252 habitants, Yonne, sous-préfecture qui n’en a plus que le nom où Marine LE PEN a fait 20,26% au soir du 22 avril 2012.
  • Mézères, 102 habitants, Haute-Loire, une de ces communes de campagne abandonnée où la candidate frontiste a atteint 31,97% à la fausse surprise de tous.

2°) Des discours dominants en résonance avec les thèses du FN

Outre les scores électoraux, les discours des ruraux et des périurbains et leurs réactions aux faits divers résonnent avec le discours du FN. Ecouter ces discours c’est prendre la température sur le terrain et comprendre les ras-le-bol des gens face à la crise, c’est s’intéresser au corpus de valeurs qui est véhiculé par les discours des Français.

« On en a ras-le-bol ! » Premier constat, les électeurs du Front National manifestent un sentiment de saturation vis-à-vis de leur situation sociale et de l’immobilité – ressentie – du politique. Ces citoyens se sentent « oubliés », « abandonnés » face à la fermeture des services publics et en ont « marre » de la situation générale. Ce sentiment est teinté d’incompréhension face au monde postmoderne. Il en ressort des comportements qui peuvent sembler étonnants au premier abord, mais qui sont révélateurs d’une perte de repères par rapport à la société.
Un article du blog Une année en France, consacré à Avallon, attire l’attention. Ce fait divers met en scène un chasseur qui a tendu un guet-apens à des individus qui lui subtilisait des bidons d’essence – individus d’origine Rom, ce qui n’arrange rien aux réactions à l’affaire. Le chasseur a été condamné à un an avec sursis, les voleurs 6 mois. L’incompréhension de la peine a provoqué chez les chasseurs la colère face au jugement. « A partir de ce moment là, raconte le maire, tous les amis du chasseur ont annoncé qu’ils voteraient Front National ». Le score du FN à Vignes, commune où a eu lieu « l’affaire », est monté à 36,76% des voix au soir du 22 avril 2012. Ce type de faits divers anodin marque une véritable rupture entre les populations rurbaines et les institutions de la République. Une incompréhension envers le système s’est donc installée pour des populations qui perdent leurs repères.
Le Front National utilise alors ces thèmes pour convaincre. Les thèmes des droits des victimes instrumentalisés par les frontistes et leur réseau, en particulier l’Institut Pour la Justice, ne peuvent qu’être approuvés par les rurbains qui pensent vivre ces situations à longueur de faits divers de proximités et relayés par la télévision – assassin, violeur ou pédophile relâché pour vice de procédure, erreur de justice…

« Tout fout le camp, c’était mieux avant ! » La désindustrialisation, l’exode rural et l’urbanisation des espace ruraux a profondément fait évoluer le monde rural. On entend souvent parler du « bon vieux temps, où tout allait mieux et tout n’était pas compliqué comme maintenant ». Cette croyance et nostalgie envers un âge d’or est révélatrice d’une peur de l’avenir induite par un malaise du présent. La fin des cadres traditionnels de contrôle social – Eglise, Armée – renforce ce sentiment de désorientation dans le monde présent et fait croire que le monde se désagrège. C’est donc une certaine protection, un rempart face au dangereux changement[1], que les électeurs du FN peuvent chercher dans les propositions de pouvoir fort et les images d’homme providentiel que véhiculent le Front National et ses dirigeants.

« L’Autre » Thème traditionnel des mouvements populistes et démagogiques : se trouver des ennemis communs à leurs partisans. La figure de l’Autre a été portée au XIXe siècle par les Métèques, ou les Italiens[2], au XXe siècle par les juifs et les francs-maçons. L’Autre du XXIe siècle prend diverses formes de « l’étranger » à « l’assisté ». Ces fautifs désignés, qui ne sont en fait que les dernières victimes de la crise, sont utilisés par les frontistes comme des topoï des dérives de la société, ennemis de classe des Français qui se lèvent tôt et galèrent pour gagner trop peu. En plus de ces « ennemis », les électeurs du FN ont intégré que ce sont les institutions de l’UE et de la République qui les ont créés. L’opposition entre groupes humains est très caractéristique du discours démagogue du FN et permet de fédérer les victimes de la crise en opposition à ces groupes d’Autres – les vrais travailleurs contre les assistés ; La France qui se lève tôt contre l’Union Européenne technocrate ; les français moyens contre les élites parisiennes… Cet Autre est de fait très pratique pour le FN pour pointer ce contre quoi ils luttent : la République et le système de redistribution sociale.

La résonnance avec les discours publics du Front National est donc évidente comme le vote Marine LE PEN, seule personnalité politique apparemment capable de répondre à ces peurs. Les citoyens qui choisissent ce mode d’expression reconnaissent ainsi leurs préoccupations dans les lignes politiques du Front National et choisissent d’utiliser ce vote comme moyen d’expression – pour eux le seul et le plus efficace pour attirer l’attention.

3°) Entre vote sanction et vote d’adhésion

Premier constat général, on dit très peu que l’on vote FN en milieu rural et dans les milieux périurbains. Ce vote non assumé révèle son aspect non idéologique. Pourtant, suite au travail interne de Marine LE PEN de démarginalisation de son parti, les électeurs assument de plus en plus ce vote.
L’exemple d’un jeune boulanger à Avallon est intéressant à ce sujet. S’il concède que Marine LE PEN peut être extrême sur certaines positions et qu’il ne partage pas toutes ses idées, il affirme qu’elle parle vrai. C’est le classique « Marine LE PEN, elle ne dit pas que des conneries ! ». Il justifie son vote par son envie de « foutre le bordel, le chaos » pour faire bouger les lignes. Cet exemple nous permet de mettre en lumières deux logiques du vote FN

Une première logique est celle du vote sanction. Le vote FN est un vote antisystème, de ras-le-bol envers la classe politique et la tournure du monde d’aujourd’hui ; interprétation classique du vote pour Jean-Marie LE PEN.

Mais une seconde logique, de plus long terme, est celle d’un vote d’adhésion. Comme il a été dit, ce vote est plus un vote d’adhésion à un constat et à une démarche pour faire bouger les lignes que d’adhésion aux solutions. Même si ces dernières font échos à ces problèmes et que le Front National a réussi en 2012 à travailler sur la forme de ses propositions tout en gardant le même fond. Ce phénomène a été particulièrement criant sur leur programme économique qui, dénué de tout fondement théorique sérieux, peut faire penser à ceux qui n’y connaissent rien qu’il est crédible. C’est cette apparence de crédibilité qui induit un nouveau vote d’adhésion aux propositions frontistes et renforce l’attractivité d’un parti d’extrême droite.

II Un problème sous-jacent : la crise de la rurbanité[3]

Tous ces phénomènes à la fois traduisent et renforcent une fracture territoriale qui est commune au monde rural et périurbain. Ce n’est plus la crise la ruralité des années 1950 ou encore la crise des banlieues qui sont deux phénomènes distincts. Cette crise est la crise de ceux qui vivent loin des centres-villes, même petits, qui n’ont pas accès aux transports en commun, qui sont obligés de s’exiler des centres pour vivre en milieu rural et périurbain du fait de l’augmentation du prix des loyers. Cette crise est la crise d’un nouvel espace : la crise la rurbanité.

1°) Une population qui mute structurellement

Selon l’article d’Eric CHARMES[4], la mutation de l’espace périurbain favorise le vote FN. De fait, on peut identifier, tout d’abord deux populations. La population « autochtone » vivant dans les espaces rurbains est souvent inquiète des nouvelles populations qui arrivent des centres-villes pour bénéficier de loyers moins élevés. Ce potentiel constat des « banlieues qui débarquent » fait facilement échos aux thèses du FN. C’est une véritable crise de l’entre-soi rural[5] qui touche les sociabilités locales et associatives des nouveaux espaces rurbains.

Ces nouvelles populations de l’espace rurbain sont aussi sensibles aux thèses frontistes puisqu’elles appartiennent aux catégories sociales les plus favorables à ce vote (ouvriers non qualifiés, jeunes précaires…). De plus, les spécificités du peuplement rurbain ne suffisent pas à expliquer ce vote. Ainsi, il s’intéresse à la corrélation entre l’accession à la propriété des classes ouvrières et le vote FN. Pour CHARMES, ces populations souffrent de la moindre densité des services publics dans les zones rurbaines (accueil parascolaire et transports) qui engendrent des dépenses plus importantes qu’en proche banlieue. Couplés aux dépenses de logement, toutes ces charges font diminuer les revenus disponibles pour le confort et les loisirs. « L’accès à la propriété peut devenir un enferment », du fait de cette diminution de niveau de vie et de loisirs. Ainsi, les rurbains sont angoissés par la « peur du déclassement » véritable spirale de la déchéance d’où un certain renferment sur soi même et son foyer.

Dernier point sur ces populations sont le rêve d’ascension sociale est souvent déçu, elles souffrent d’un manque de considération politique de la part des élites. Ces dernières ont tendance à rendre coupables les périurbains de consuméristes, destructeurs de la nature ou d’automobilistes forcenés[6] alors qu’ils sont les premières victimes de la crise.

2°) Un marasme économique catalyseur conjoncturel du vote FN

C’est en partie dans ce contexte de crise de la rurbanité que six maires de petites villes de France ont témoigné dans un article du Monde du 15 septembre 2012 à l’issue du congrès de l’Association des petites villes de France à Castelnaudary. Ce constat est couplé à la dynamique de la crise : chômage, perte de logement, surendettement et déclassement. Ce sont des accélérateurs de peurs et de rancœur envers le système.

Tous ces éléments rappellent que le vote FN est aussi un vote de crise économique. La crise économique et sociale agit comme un catalyseur sur la crise de la rurbanité dans ces zones fragiles désindustrialisées ou progressivement désertées par les services publics et les PME. La montée des extrêmes est un phénomène historique récurrent en temps de crises, mais couplé à cette crise structurelle, il ne peut en résulter que les scores du premier tour de la Présidentielle 2012. Si rien n’est fait, ces scores vont potentiellement dépasser ceux des deux grands partis.

3°) Le cercle vicieux des médias

S’ajoute à cette crise de la rurbanité et ses discours l’influence des médias qui agissent comme des catalyseurs de ces peurs et inquiétudes. L’influence de TF1, du journal de 13h (38,4% de part de marché en octobre 2012 soit 6,4 millions de téléspectateurs) et du journal de 20h (31,2%, 8,1 millions de téléspectateurs) est notable. Les valeurs véhiculées par ces programmes participent à cette hégémonie culturelle de la droite et de l’extrême droite. Tant par la mise en scène d’une France immuable qui part à vau-l’eau à 13h que par la mise en exergue de l’insécurité partout à 20h, ces images marquent l’imaginaire collectif et contribuent à alimenter les peurs et les angoisses du monde extérieur et de la postmodernité.

On peut tout de même nuancer ce propos par l’évolution de l’information choisie et sélectionnée via internet. Ce phénomène croissant contribue à un pluralisme d’information, mais les sources modérées ne sont pas toujours les plus lues. La forte activité des sites extrémistes (fdesouche.fr, novopresse.fr…) témoigne d’une volonté de l’extrême droite de mener une véritable bataille culturelle sur la toile[7]. Cette activité reste marginale mais il faut garder à l’esprit que les extrémistes tentent de convaincre les populations périurbaines et rurales, en particulier les jeunes, via l’espace commentaire des articles de presse en ligne et les réseaux sociaux.

III Résoudre la crise par une nouvelle action publique déconcentrée et décentralisée

Même si le retour de la croissance diminuera l’ampleur conjoncturelle du phénomène électoral, le politique a plusieurs canaux possibles pour combattre à la fois les causes et les effets de cette crise structurelle du monde rurbain. Il faut alors agir sur les conditions matérielles des habitants de ces zones : agir à changer la vie de ces Français. De plus, il est nécessaire de désamorcer les discours les plus extrêmes en permettant aux citoyens, d’abord, de comprendre les enjeux de l’action publique, et, ensuite, de s’exprimer sur l’action publique.

1°) Désenclaver la rurbanité

Les constats qui ont été faits plus haut en appellent à un désenclavement de la rurbanité. Ainsi, il faut lancer une réflexion globale sur ce nouveau lieu de fracture territoriale au même titre que la politique de la ville. La rurbanité est le parent pauvre des services publics et de la croissance ; dépendant des grands centres auxquels elle est reliée. Toutes les échelles de compétence doivent être mises à contribution pour agir pour ces zones.

Il faut tout d’abord réfléchir à réinstaurer un service public de proximité et de qualité. La priorité doit être mise dans ces zones sur le transport et les services parascolaires ; en plus des services publics classiques (Poste, santé, éducation) qu’il faut maintenir. L’extension et l’amélioration des réseaux de transport doit permettre aux rurbains de se rendre plus rapidement et de façon moins onéreuse à leur lieu de travail. Les dispositifs régionaux promouvant l’aller-retour domicile-travail à 2€ par jour sont un bon exemple de politique de transport de désenclavement de ces zones. Il faut également développer l’intermodalité des transports en commun pour densifier et relier tous les réseaux.
Le service public de la petite enfance doit prioritairement être mis en place dans ces zones de relégation sociale pour permettre aux couples, et en particulier aux femmes, de travailler sans avoir à trouver des solutions parallèles pour garder leurs enfants en bas âge.

Les questions urbaines et urbanistes peuvent également répondre à cette crise. L’étalement urbain favorise la relégation des classes les plus précaires à l’extérieur et à la grande périphérie des centres urbains. Il faut donc continuer la densification des zones existantes en évitant leur extension géographique. De plus, la limitation de l’inflation des loyers des centres-villes et une application plus drastique de la loi SRU permettrait de renforcer la mixité sociale des espaces urbains et permettrait de faire revenir les citoyens vers les centres-villes. L’introduction de la règle des « trois tiers bâtis » dans le projet de loi sur le logement qui sera rediscuté suite à sa censure au Conseil constitutionnel est l’une des clefs de cette mixité sociale qui permettraient d’endiguer le phénomène de fuite vers la rurbanité des classes précaires.

Enfin, la décentralisation doit être au service du désenclavement. Donner plus de compétences aux échelons locaux permet une meilleure action de proximité et plus efficace. Le désenclavement de la rurbanité requière une action ciblée et locale qui à la fois répond aux divers problèmes structurels et permet une plus grande visibilité de l’action publique sur ces territoires. L’acte III de la décentralisation pourra constituer le nouveau cadre de cette lutte au moyen des conférences régionales de compétence et des nouveaux moyens de l’action publique décentralisée.

2°) Redonner confiance en l’action publique et en les institutions

Transformer l’action publique pour la rendre plus efficiente et plus proche des attentes du citoyen peut permettre de redonner confiance envers l’action publique et les institutions républicaines. C’est la défiance structurelle envers la République qui induit le vote FN et, même si celle-ci est d’origine matérielle, elle est entrée durablement dans les mœurs et dans le système de représentation des rurbains.

S’adapter aux nouvelles questions rurales et rurbaines est une nécessité. Il peut être intéressant de s’inspirer du modèle du Comité interministériel de la Ville (CIV) pour créer un CI dédié aux nouveaux enjeux des territoires rurbains. Doté d’un secrétariat général, ce comité interministériel à la rurbanité serait chargé d’articuler les politiques de droit commun sur les territoires rurbains. De plus, des dispositifs contractuels à l’image de ceux existants pour la politique de la ville pourraient être introduits pour les territoires rurbains les plus défavorisés pour les relancer économiquement. Le ministère en charge de comité se verrait rajouté le terme « rurbanité » à son intitulé.

Le discours politique doit également être adapté à ces zones et à ces populations. Il faut acter leur détresse sociale au membre titre que celle des habitants des banlieues. La promotion de chaines de télévision et de radios locales peut être aussi un moyen pour donner la parole aux rurbains. La proximité de l’information est la garantie que la vraie vie des rurbains est prise en compte. Il peut donc être intéressant de développer un plan national pour la promotion des médias locaux en ouvrant des canaux de diffusion subventionnés sur la bande FM et la TNT.

Enfin, il est nécessaire de soutenir les initiatives de la société civile locale qui agissent pour retisser les liens sociaux dans les milieux rurbains. Il faut de fait relancer le financement des associations d’éducations populaires et d’animation du monde rural et périurbain (amicales laïques, foyers ruraux…).

3°) La transformation sociale et la bataille culturelle au service de la lutte contre le vote FN – politiques transversales pour pacifier la société.

Enfin, la lutte contre le Front National doit être une véritable bataille culturelle contre le soit disant « bon sens » qui n’est que l’émanation d’une hégémonie culturelle de la droite et de l’extrême droite. Il n’est pas question ici de promouvoir la Gauche par les institutions mais bien la République, la laïcité et la concorde républicaine dans notre société dont les tensions sont sans-cesse renforcées par les médias et certains discours politiques délétères.

L’éducation est le premier vecteur du renouveau de la cohésion sociale sur tout le territoire. Si les Français ont perdu confiance envers les institutions et se tournent des discours autoritaires et identitaires – communautaires ou nationalistes – c’est qu’ils maîtrisent mal les clefs de lecture politiques du monde actuel. Il faut donc renforcer l’enseignement de l’Education civique (cf. note éducation du 25/10/2012 en annexe) et de la libre pensée. Emanciper les futures générations des idées reçues et des peurs de l’avenir rendra ces générations moins poreuses aux discours frontistes.

Même si la liberté de la presse est une règle absolue et imprescriptible, la qualité de l’information des grandes chaines laisse à désirer et, souvent, ne fait que renforcer les tensions internes à la société. Il n’est pas question de recréer un Ministère de l’Information ou même de censurer les lignes éditoriales. Mais il serait de bon augure de lancer une grande réflexion sur l’information et son accès à tous. Cette réflexion conduite par le CSA peut résulter en une charte de l’information qui acterait l’obligation de fournir aux français le plus de grilles de lectures possibles aux évènements. Le débat doit être le premier vecteur de cette nouvelle façon de faire de l’information.

Enfin, le Gouvernement et la Majorité – en particulier via le PS – doivent engager une riposte républicaine contre les thèses frontistes. La stratégie de l’évitement a marqué ses limites et tous les dirigeants politiques de la Majorité doivent affronter une à une les thèses du FN. Pour cela, il faut accepter de débattre contre les dirigeants du Front National dans les médias et à chaque fois démonter leurs constats et leurs propositions en révélant leurs présupposés et leur dangerosité pour la République. Il ne faut pas avoir peur de s’adresser aux électeurs du FN puisque ce sont les plus précaires et les premiers qui doivent être visés par les politiques du Gouvernement. Il faut simplement s’adresser à eux en vrai homme ou femme de gauche et leur dire que notre but est de leur changer la vie.

*              *

Le vote FN est donc un vote de crise : de crise économique, de crise des territoires, de crise de l’entre-soi et de crise intellectuelle des médias. Nous avons devant nous cinq ans pour changer la France et résoudre ces crises conjoncturelles et structurelles. C’est à la fois en changeant la vie matérielle des gens et en ré-enchantant ce que le candidat Hollande appelait « le rêve français » que nous réussirons à endiguer le vote FN.

Il faut toujours se rappeler que le socialisme c’est créer de l’irréversible en desserrant les contraintes du monde qui nous entoure pour l’émancipation de tous et le Progrès social : c’est « aller à l’idéal en comprenant le réel ». C’est en appliquant cette doctrine, notre doctrine, que nous réussirons ce combat.



[1] Un exemple intéressant issu des monographies du Monde : la peur que les campagnes se transforment en banlieue, symbole de la déshérence du monde postmoderne.
[2] Voir à ce sujet les différents ouvrages sur le massacre d’Aigues-Mortes d’août 1893.
[3] Espace qui inclue les lointaines couronnes des grands centres villes et les espaces ruraux en voie de périurbanisation.
[4] CHARMES Eric, « La vie périurbaine favorise-t-elle le vote Front National » in Etude Foncière, n° 156, mars-avril 2012.
[5] PIERRU Emmanuel, VIGNON Sébastien, « Déstabilisation des lieux d’intégration traditionnels et transformation de l’entre-soi rural. L’exemple du département de la Somme. » in BESSIERE, DOIDY, JACQUOT, LAFERTE, MISCHI, RENAHY SENCEBE, Les mondes ruraux à l’épreuve des sciences sociales, Editions Quae, Versailles, 2007
[6] Il faut noter que les arguments du type « Et qui c’est qui prend ? Ces nous, les pauvres gens qui triment. Un exemple, les radars… » reviennent assez souvent dans les cris de rage des Français les plus exposés à la crise et donc les plus favorables au vote FN. Ce phénomène est révélateur du sentiment de victime et d’inégalité que les gens peuvent ressentir face aux stéréotype de l’Autre, du profiteur, de l’assisté.
[7] Les mouvements nationalistes et identitaires s’inspirent de plus en plus d’Antonio GRAMSCI et assument de mener une bataille culturelle sur le net, comme en témoigne une fiche technique trouvée sur internet sur un site identitaire lors de recherches sur GRAMSCI.

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