«A la campagne et
dans les petites villes, faire de la politique, ce n'est, le plus souvent, que
haïr son voisin.»
Comte de Belvèze
La Présidentielle
2012, bien que remportée par François HOLLANDE, a été marquée par une forte
montée du vote Font National (FN) le soir du 22 avril. Même si son score n’a
été que de 17,90% au niveau national – score historique, jamais atteint par les
frontistes – ses résultats ont été encore plus forts dans les zones rurales et
périurbaines.
Il faut essayer de comprendre les
ressorts du vote FN. Certains le qualifient de vote raciste, ont-ils
tord ? Mais est-ce alors un racisme idéologique ou un racisme de
circonstance ? L’explication idéologique est assez ténue, même si le
racisme des électeurs FN est latent dans leurs propos. Il faut plus analyser ce
vote comme un cri de rage, de révolte envers le système : un vote sanction
envers les partis républicains. Cette analyse se colle assez bien aux ruraux et
périurbains qui, dans leurs témoignages, expriment leur colère envers le
sentiment d’abandon qu’ils peuvent avoir.
Le vote Front National est donc
l’expression d’une fracture territoriale dont souffre les ruraux et les périurbains.
Ce sont leurs peurs, leur mal-être social qui s’expriment dans ce vote extrême
dans un appel au secours face aux crises actuelles.
L’enjeu de cette note est donc de
comprendre par quels ressorts est motivé ce vote frontiste dans les espaces
ruraux et périurbains – faudrait-il dire « rurbains » ? – et de
comprendre quelles peuvent être les failles de l’action publique qui ont mené à
cette situation. De plus, dans les cinq ans impartis à la gauche au
pouvoir, il est important de réfléchir à comment, par une nouvelle vision
du service public et, potentiellement, une nouvelle organisation territoriale
de l’action publique, il est possible de lutter contre la montée des extrêmes
dans les milieux ruraux et périurbains pour pacifier la société française.
I Un vote FN qui s’implante
dans les territoires ruraux et périurbains
Comprendre le vote FN, c’est
comprendre ses électeurs. C’est considérer que ce vote est un phénomène
structurel des zones rurales et périurbaines qui répond à une situation sociale
donnée et à un corpus de valeurs dominant dans ces milieux. Cette analyse
structurelle pourrait être critiquée pour son manque de considération pour la
liberté de pensée et de vote des gens. Tout au contraire, de cette situation
structurelle naît un besoin de liberté, la liberté de dire « merde »
au système. Mais avant de le comprendre, il faut le considérer et l’entendre.
1°) Aspects chiffrés
Quelques chiffres peuvent
permettre de cerner l’ampleur du phénomène dans les zones périurbaines et
rurales. Malheureusement les deux ensembles ont tendance à être traités
séparément alors que l’on peut considérer que le même phénomène a cours dans
ces zones.
Un sondage IFOP publié le 28
février 2012 dans Le Monde a souligné la corrélation positive entre
l’éloignement des centres urbains et le vote FN. Ainsi, il apparait une zone
périurbaine entre 35 et 65 km
des centres-villes où le vote Marine LE PEN est beaucoup plus élevé que la
moyenne nationale.
De plus, concernant la typologie
des nouveaux bastions du vote, l’étude de l’IFOP du 3 octobre 2012, qui fait un
focus sur les villes que pourrait conquérir le FN en 2014, en se basant sur les
scores de 2e tour des législatives 2012, révèle que les communes où
le score du FN dépasse 50% sont en majorité des villes de 2 000 à
15 000 habitants (excepté Hénin-Beaumont). Ces petites villes sont
l’interface entre un monde périurbain éloigné des grands centres et une
ruralité diffuse. On peut noter que ces espaces souffrent d’une désertification
croissante des services publics issue des deux derniers gouvernements.
Enfin, les différents témoignages
des Français concernés sont révélateurs d’une population qui souffre de la
crise et d’une fracture territoriale galopante. Le blog Une année en France,
du site du Monde, met en lumière deux de ces espaces délaissés par les
pouvoirs publics et en proie à la défiance envers la République et ses
institutions. Ces deux communes sont :
- Avallon, 7 252 habitants, Yonne, sous-préfecture qui n’en a plus que le nom où Marine LE PEN a fait 20,26% au soir du 22 avril 2012.
- Mézères, 102 habitants, Haute-Loire, une de ces communes de campagne abandonnée où la candidate frontiste a atteint 31,97% à la fausse surprise de tous.
2°) Des discours dominants en
résonance avec les thèses du FN
Outre les scores électoraux, les
discours des ruraux et des périurbains et leurs réactions aux faits divers
résonnent avec le discours du FN. Ecouter ces discours c’est prendre la
température sur le terrain et comprendre les ras-le-bol des gens face à la
crise, c’est s’intéresser au corpus de valeurs qui est véhiculé par les
discours des Français.
« On en a ras-le-bol ! »
Premier constat, les électeurs du Front National manifestent un sentiment de
saturation vis-à-vis de leur situation sociale et de l’immobilité – ressentie –
du politique. Ces citoyens se sentent « oubliés »,
« abandonnés » face à la fermeture des services publics et en ont
« marre » de la situation générale. Ce sentiment est teinté
d’incompréhension face au monde postmoderne. Il en ressort des comportements
qui peuvent sembler étonnants au premier abord, mais qui sont révélateurs d’une
perte de repères par rapport à la société.
Un article du blog Une année
en France, consacré à Avallon, attire l’attention. Ce fait divers met en
scène un chasseur qui a tendu un guet-apens à des individus qui lui subtilisait
des bidons d’essence – individus d’origine Rom, ce qui n’arrange rien aux
réactions à l’affaire. Le chasseur a été condamné à un an avec sursis, les
voleurs 6 mois. L’incompréhension de la peine a provoqué chez les chasseurs la
colère face au jugement. « A partir de ce moment là, raconte le maire,
tous les amis du chasseur ont annoncé qu’ils voteraient Front National ».
Le score du FN à Vignes, commune où a eu lieu « l’affaire », est
monté à 36,76% des voix au soir du 22 avril 2012. Ce type de faits divers
anodin marque une véritable rupture entre les populations rurbaines et les
institutions de la République. Une
incompréhension envers le système s’est donc installée pour des populations qui
perdent leurs repères.
Le Front National utilise alors
ces thèmes pour convaincre. Les thèmes des droits des victimes instrumentalisés
par les frontistes et leur réseau, en particulier l’Institut Pour la Justice, ne peuvent
qu’être approuvés par les rurbains qui pensent vivre ces situations à longueur
de faits divers de proximités et relayés par la télévision – assassin, violeur
ou pédophile relâché pour vice de procédure, erreur de justice…
« Tout fout le camp,
c’était mieux avant ! » La désindustrialisation, l’exode rural et
l’urbanisation des espace ruraux a profondément fait évoluer le monde rural. On
entend souvent parler du « bon vieux temps, où tout allait mieux et tout
n’était pas compliqué comme maintenant ». Cette croyance et nostalgie
envers un âge d’or est révélatrice d’une peur de l’avenir induite par un
malaise du présent. La fin des cadres traditionnels de contrôle social –
Eglise, Armée – renforce ce sentiment de désorientation dans le monde présent
et fait croire que le monde se désagrège. C’est donc une certaine protection,
un rempart face au dangereux changement[1], que
les électeurs du FN peuvent chercher dans les propositions de pouvoir fort et
les images d’homme providentiel que véhiculent le Front National et ses
dirigeants.
« L’Autre »
Thème traditionnel des mouvements populistes et démagogiques : se trouver
des ennemis communs à leurs partisans. La figure de l’Autre a été portée au
XIXe siècle par les Métèques, ou les Italiens[2], au XXe siècle par
les juifs et les francs-maçons. L’Autre du XXIe siècle prend diverses formes de
« l’étranger » à « l’assisté ». Ces fautifs désignés, qui
ne sont en fait que les dernières victimes de la crise, sont utilisés par les
frontistes comme des topoï des dérives de la société, ennemis de classe
des Français qui se lèvent tôt et galèrent pour gagner trop peu. En plus de ces
« ennemis », les électeurs du FN ont intégré que ce sont les
institutions de l’UE et de la
République qui les ont créés. L’opposition entre groupes humains
est très caractéristique du discours démagogue du FN et permet de fédérer les
victimes de la crise en opposition à ces groupes d’Autres – les vrais
travailleurs contre les assistés ; La France qui se lève tôt contre l’Union Européenne
technocrate ; les français moyens contre les élites parisiennes… Cet Autre
est de fait très pratique pour le FN pour pointer ce contre quoi ils
luttent : la
République et le système de redistribution sociale.
La résonnance avec les discours
publics du Front National est donc évidente comme le vote Marine LE PEN, seule
personnalité politique apparemment capable de répondre à ces peurs. Les
citoyens qui choisissent ce mode d’expression reconnaissent ainsi leurs
préoccupations dans les lignes politiques du Front National et choisissent
d’utiliser ce vote comme moyen d’expression – pour eux le seul et le plus
efficace pour attirer l’attention.
3°) Entre vote sanction et
vote d’adhésion
Premier constat général, on dit très
peu que l’on vote FN en milieu rural et dans les milieux périurbains. Ce vote
non assumé révèle son aspect non idéologique. Pourtant, suite au travail
interne de Marine LE PEN de démarginalisation de son parti, les électeurs
assument de plus en plus ce vote.
L’exemple d’un jeune boulanger à
Avallon est intéressant à ce sujet. S’il concède que Marine LE PEN peut être
extrême sur certaines positions et qu’il ne partage pas toutes ses idées, il
affirme qu’elle parle vrai. C’est le classique « Marine LE PEN, elle ne
dit pas que des conneries ! ». Il justifie son vote par son envie de
« foutre le bordel, le chaos » pour faire bouger les lignes. Cet
exemple nous permet de mettre en lumières deux logiques du vote FN
Une première logique est celle du
vote sanction. Le vote FN est un vote antisystème, de ras-le-bol envers
la classe politique et la tournure du monde d’aujourd’hui ; interprétation
classique du vote pour Jean-Marie LE PEN.
Mais une seconde logique, de plus
long terme, est celle d’un vote d’adhésion. Comme il a été dit, ce vote
est plus un vote d’adhésion à un constat et à une démarche pour faire bouger
les lignes que d’adhésion aux solutions. Même si ces dernières font échos à ces
problèmes et que le Front National a réussi en 2012 à travailler sur la forme
de ses propositions tout en gardant le même fond. Ce phénomène a été
particulièrement criant sur leur programme économique qui, dénué de tout
fondement théorique sérieux, peut faire penser à ceux qui n’y connaissent rien
qu’il est crédible. C’est cette apparence de crédibilité qui induit un nouveau
vote d’adhésion aux propositions frontistes et renforce l’attractivité d’un
parti d’extrême droite.
II Un problème sous-jacent :
la crise de la rurbanité[3]
Tous ces phénomènes à la fois
traduisent et renforcent une fracture territoriale qui est commune au monde
rural et périurbain. Ce n’est plus la crise la ruralité des années 1950 ou
encore la crise des banlieues qui sont deux phénomènes distincts. Cette crise
est la crise de ceux qui vivent loin des centres-villes, même petits, qui n’ont
pas accès aux transports en commun, qui sont obligés de s’exiler des centres
pour vivre en milieu rural et périurbain du fait de l’augmentation du prix des
loyers. Cette crise est la crise d’un nouvel espace : la crise la
rurbanité.
1°) Une population qui mute
structurellement
Selon l’article d’Eric CHARMES[4], la
mutation de l’espace périurbain favorise le vote FN. De fait, on peut
identifier, tout d’abord deux populations. La population
« autochtone » vivant dans les espaces rurbains est souvent inquiète
des nouvelles populations qui arrivent des centres-villes pour bénéficier de
loyers moins élevés. Ce potentiel constat des « banlieues qui
débarquent » fait facilement échos aux thèses du FN. C’est une véritable
crise de l’entre-soi rural[5] qui
touche les sociabilités locales et associatives des nouveaux espaces rurbains.
Ces nouvelles populations de
l’espace rurbain sont aussi sensibles aux thèses frontistes puisqu’elles
appartiennent aux catégories sociales les plus favorables à ce vote (ouvriers
non qualifiés, jeunes précaires…). De plus, les spécificités du peuplement
rurbain ne suffisent pas à expliquer ce vote. Ainsi, il s’intéresse à la
corrélation entre l’accession à la propriété des classes ouvrières et le vote
FN. Pour CHARMES, ces populations souffrent de la moindre densité des services
publics dans les zones rurbaines (accueil parascolaire et transports) qui
engendrent des dépenses plus importantes qu’en proche banlieue. Couplés aux
dépenses de logement, toutes ces charges font diminuer les revenus disponibles
pour le confort et les loisirs. « L’accès à la propriété peut devenir un
enferment », du fait de cette diminution de niveau de vie et de loisirs.
Ainsi, les rurbains sont angoissés par la « peur du déclassement »
véritable spirale de la déchéance d’où un certain renferment sur soi même et
son foyer.
Dernier point sur ces populations
sont le rêve d’ascension sociale est souvent déçu, elles souffrent d’un manque
de considération politique de la part des élites. Ces dernières ont tendance à
rendre coupables les périurbains de consuméristes, destructeurs de la nature ou
d’automobilistes forcenés[6] alors
qu’ils sont les premières victimes de la crise.
2°) Un marasme économique catalyseur
conjoncturel du vote FN
C’est en partie dans ce contexte
de crise de la rurbanité que six maires de petites villes de France ont
témoigné dans un article du Monde du 15 septembre 2012 à l’issue du
congrès de l’Association des petites villes de France à Castelnaudary. Ce
constat est couplé à la dynamique de la crise : chômage, perte de logement,
surendettement et déclassement. Ce sont des accélérateurs de peurs et de
rancœur envers le système.
Tous ces éléments rappellent que
le vote FN est aussi un vote de crise économique. La crise économique et
sociale agit comme un catalyseur sur la crise de la rurbanité dans ces zones
fragiles désindustrialisées ou progressivement désertées par les services
publics et les PME. La montée des extrêmes est un phénomène historique
récurrent en temps de crises, mais couplé à cette crise structurelle, il ne
peut en résulter que les scores du premier tour de la Présidentielle
2012. Si rien n’est fait, ces scores vont potentiellement dépasser ceux des
deux grands partis.
3°) Le cercle vicieux des
médias
S’ajoute à cette crise de la rurbanité
et ses discours l’influence des médias qui agissent comme des catalyseurs de
ces peurs et inquiétudes. L’influence de TF1, du journal de 13h (38,4% de part
de marché en octobre 2012 soit 6,4 millions de téléspectateurs) et du journal
de 20h (31,2%, 8,1 millions de téléspectateurs) est notable. Les valeurs
véhiculées par ces programmes participent à cette hégémonie culturelle de la
droite et de l’extrême droite. Tant par la mise en scène d’une France immuable
qui part à vau-l’eau à 13h que par la mise en exergue de l’insécurité partout à
20h, ces images marquent l’imaginaire collectif et contribuent à alimenter les
peurs et les angoisses du monde extérieur et de la postmodernité.
On peut tout de même nuancer ce
propos par l’évolution de l’information choisie et sélectionnée via internet.
Ce phénomène croissant contribue à un pluralisme d’information, mais les
sources modérées ne sont pas toujours les plus lues. La forte activité des
sites extrémistes (fdesouche.fr, novopresse.fr…) témoigne d’une volonté de
l’extrême droite de mener une véritable bataille culturelle sur la toile[7].
Cette activité reste marginale mais il faut garder à l’esprit que les
extrémistes tentent de convaincre les populations périurbaines et rurales, en
particulier les jeunes, via l’espace commentaire des articles de presse en
ligne et les réseaux sociaux.
III Résoudre la crise par une
nouvelle action publique déconcentrée et décentralisée
Même si le retour de la
croissance diminuera l’ampleur conjoncturelle du phénomène électoral, le
politique a plusieurs canaux possibles pour combattre à la fois les causes et
les effets de cette crise structurelle du monde rurbain. Il faut alors agir sur
les conditions matérielles des habitants de ces zones : agir à changer la
vie de ces Français. De plus, il est nécessaire de désamorcer les discours les
plus extrêmes en permettant aux citoyens, d’abord, de comprendre les enjeux de
l’action publique, et, ensuite, de s’exprimer sur l’action publique.
1°) Désenclaver la rurbanité
Les constats qui ont été faits plus
haut en appellent à un désenclavement de la rurbanité. Ainsi, il faut
lancer une réflexion globale sur ce nouveau lieu de fracture territoriale au
même titre que la politique de la ville. La rurbanité est le parent pauvre des
services publics et de la croissance ; dépendant des grands centres
auxquels elle est reliée. Toutes les échelles de compétence doivent être mises
à contribution pour agir pour ces zones.
Il faut tout d’abord réfléchir à
réinstaurer un service public de proximité et de qualité. La priorité doit être
mise dans ces zones sur le transport et les services parascolaires ; en
plus des services publics classiques (Poste, santé, éducation) qu’il faut
maintenir. L’extension et l’amélioration des réseaux de transport doit
permettre aux rurbains de se rendre plus rapidement et de façon moins onéreuse
à leur lieu de travail. Les dispositifs régionaux promouvant l’aller-retour
domicile-travail à 2€ par jour sont un bon exemple de politique de transport de
désenclavement de ces zones. Il faut également développer l’intermodalité des
transports en commun pour densifier et relier tous les réseaux.
Le service public de la petite
enfance doit prioritairement être mis en place dans ces zones de relégation
sociale pour permettre aux couples, et en particulier aux femmes, de travailler
sans avoir à trouver des solutions parallèles pour garder leurs enfants en bas
âge.
Les questions urbaines et
urbanistes peuvent également répondre à cette crise. L’étalement urbain
favorise la relégation des classes les plus précaires à l’extérieur et à la
grande périphérie des centres urbains. Il faut donc continuer la densification
des zones existantes en évitant leur extension géographique. De plus, la
limitation de l’inflation des loyers des centres-villes et une application plus
drastique de la loi SRU permettrait de renforcer la mixité sociale des espaces
urbains et permettrait de faire revenir les citoyens vers les centres-villes.
L’introduction de la règle des « trois tiers bâtis » dans le
projet de loi sur le logement qui sera rediscuté suite à sa censure au Conseil
constitutionnel est l’une des clefs de cette mixité sociale qui permettraient
d’endiguer le phénomène de fuite vers la rurbanité des classes précaires.
Enfin, la décentralisation doit
être au service du désenclavement. Donner plus de compétences aux échelons
locaux permet une meilleure action de proximité et plus efficace. Le
désenclavement de la rurbanité requière une action ciblée et locale qui à la
fois répond aux divers problèmes structurels et permet une plus grande
visibilité de l’action publique sur ces territoires. L’acte III de la
décentralisation pourra constituer le nouveau cadre de cette lutte au moyen des
conférences régionales de compétence et des nouveaux moyens de l’action
publique décentralisée.
2°) Redonner confiance en
l’action publique et en les institutions
Transformer l’action publique
pour la rendre plus efficiente et plus proche des attentes du citoyen peut
permettre de redonner confiance envers l’action publique et les institutions
républicaines. C’est la défiance structurelle envers la République qui induit
le vote FN et, même si celle-ci est d’origine matérielle, elle est entrée
durablement dans les mœurs et dans le système de représentation des rurbains.
S’adapter aux nouvelles questions
rurales et rurbaines est une nécessité. Il peut être intéressant de s’inspirer
du modèle du Comité interministériel de la Ville (CIV) pour créer un CI dédié aux nouveaux enjeux
des territoires rurbains. Doté d’un secrétariat général, ce comité
interministériel à la rurbanité serait chargé d’articuler les politiques de
droit commun sur les territoires rurbains. De plus, des dispositifs
contractuels à l’image de ceux existants pour la politique de la ville
pourraient être introduits pour les territoires rurbains les plus défavorisés
pour les relancer économiquement. Le ministère en charge de comité se verrait
rajouté le terme « rurbanité » à son intitulé.
Le discours politique doit
également être adapté à ces zones et à ces populations. Il faut acter leur
détresse sociale au membre titre que celle des habitants des banlieues. La
promotion de chaines de télévision et de radios locales peut être aussi un
moyen pour donner la parole aux rurbains. La proximité de l’information est la
garantie que la vraie vie des rurbains est prise en compte. Il peut donc être
intéressant de développer un plan national pour la promotion des médias
locaux en ouvrant des canaux de diffusion subventionnés sur la bande FM et la TNT.
Enfin, il est nécessaire de soutenir
les initiatives de la société civile locale qui agissent pour retisser les
liens sociaux dans les milieux rurbains. Il faut de fait relancer le financement
des associations d’éducations populaires et d’animation du monde rural et
périurbain (amicales laïques, foyers ruraux…).
3°) La transformation sociale
et la bataille culturelle au service de la lutte contre le vote FN – politiques
transversales pour pacifier la société.
Enfin, la lutte contre le Front
National doit être une véritable bataille culturelle contre le soit
disant « bon sens » qui n’est que l’émanation d’une hégémonie
culturelle de la droite et de l’extrême droite. Il n’est pas question ici de
promouvoir la Gauche
par les institutions mais bien la
République, la laïcité et la concorde républicaine dans notre
société dont les tensions sont sans-cesse renforcées par les médias et certains
discours politiques délétères.
L’éducation est le premier
vecteur du renouveau de la cohésion sociale sur tout le territoire. Si les
Français ont perdu confiance envers les institutions et se tournent des
discours autoritaires et identitaires – communautaires ou nationalistes – c’est
qu’ils maîtrisent mal les clefs de lecture politiques du monde actuel. Il faut
donc renforcer l’enseignement de l’Education civique (cf. note éducation
du 25/10/2012 en annexe) et de la libre pensée. Emanciper les futures
générations des idées reçues et des peurs de l’avenir rendra ces générations
moins poreuses aux discours frontistes.
Même si la liberté de la presse
est une règle absolue et imprescriptible, la qualité de l’information des
grandes chaines laisse à désirer et, souvent, ne fait que renforcer les
tensions internes à la société. Il n’est pas question de recréer un Ministère
de l’Information ou même de censurer les lignes éditoriales. Mais il serait de bon
augure de lancer une grande réflexion sur l’information et son accès à tous.
Cette réflexion conduite par le CSA peut résulter en une charte de
l’information qui acterait l’obligation de fournir aux français le plus de
grilles de lectures possibles aux évènements. Le débat doit être le premier
vecteur de cette nouvelle façon de faire de l’information.
Enfin, le Gouvernement et la Majorité – en particulier
via le PS – doivent engager une riposte républicaine contre les thèses
frontistes. La stratégie de l’évitement a marqué ses limites et tous les
dirigeants politiques de la
Majorité doivent affronter une à une les thèses du FN.
Pour cela, il faut accepter de débattre contre les dirigeants du Front National
dans les médias et à chaque fois démonter leurs constats et leurs propositions
en révélant leurs présupposés et leur dangerosité pour la République. Il
ne faut pas avoir peur de s’adresser aux électeurs du FN puisque ce sont les
plus précaires et les premiers qui doivent être visés par les politiques du
Gouvernement. Il faut simplement s’adresser à eux en vrai homme ou femme de
gauche et leur dire que notre but est de leur changer la vie.
* *
Le vote FN est donc un vote de
crise : de crise économique, de crise des territoires, de crise de
l’entre-soi et de crise intellectuelle des médias. Nous avons devant nous cinq
ans pour changer la France
et résoudre ces crises conjoncturelles et structurelles. C’est à la fois en
changeant la vie matérielle des gens et en ré-enchantant ce que le candidat
Hollande appelait « le rêve français » que nous réussirons à endiguer
le vote FN.
Il faut toujours se rappeler que
le socialisme c’est créer de l’irréversible en desserrant les contraintes du
monde qui nous entoure pour l’émancipation de tous et le Progrès social :
c’est « aller à l’idéal en comprenant le réel ». C’est en appliquant
cette doctrine, notre doctrine, que nous réussirons ce combat.
[1] Un
exemple intéressant issu des monographies du Monde : la peur que
les campagnes se transforment en banlieue, symbole de la déshérence du monde
postmoderne.
[2] Voir
à ce sujet les différents ouvrages sur le massacre d’Aigues-Mortes d’août 1893.
[3]
Espace qui inclue les lointaines couronnes des grands centres villes et les
espaces ruraux en voie de périurbanisation.
[4]
CHARMES Eric, « La vie périurbaine favorise-t-elle le vote Front
National » in Etude Foncière, n° 156, mars-avril 2012.
[5]
PIERRU Emmanuel, VIGNON Sébastien, « Déstabilisation des lieux
d’intégration traditionnels et transformation de l’entre-soi rural. L’exemple
du département de la Somme. »
in BESSIERE, DOIDY, JACQUOT, LAFERTE, MISCHI, RENAHY SENCEBE, Les mondes
ruraux à l’épreuve des sciences sociales, Editions Quae, Versailles, 2007
[6] Il
faut noter que les arguments du type « Et qui c’est qui prend ? Ces nous,
les pauvres gens qui triment. Un exemple, les radars… » reviennent assez souvent
dans les cris de rage des Français les plus exposés à la crise et donc les plus
favorables au vote FN. Ce phénomène est révélateur du sentiment de victime et
d’inégalité que les gens peuvent ressentir face aux stéréotype de l’Autre, du
profiteur, de l’assisté.
[7] Les
mouvements nationalistes et identitaires s’inspirent de plus en plus d’Antonio
GRAMSCI et assument de mener une bataille culturelle sur le net, comme en
témoigne une fiche technique trouvée sur internet sur un site identitaire lors
de recherches sur GRAMSCI.
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