dimanche 26 mai 2013

Note de recherche sur l'acte III de la décentralisation

Sociologie de la gestion publique et politiques de réforme de l’etat













                                                                                                     
L’acte III de la décentralisation
Elaboration du projet de loi et concertation :
la victoire des élus locaux

François-Marie CAILLEAU
Note de recherche de fin de semestre

Avril 2013








Introduction

La présentation des trois projets de loi relatifs à la décentralisation et à la réforme de l’Etat au Conseil des Ministres du 10 avril 2013 marque le début des travaux législatifs qui seront nécessaires à l’adoption du futur acte III de la décentralisation. Mais cette présentation marque surtout la fin d’une procédure de concertation longue et houleuse qui a révélé de vives oppositions entre tous les acteurs du nouveau processus de décentralisation.
L’acte III de la décentralisation correspond à l’engagement n°54 du candidat Hollande pendant les élections présidentielles. Nous nous intéresserons ici au processus de traduction en droit de cet engagement de campagne du Président de la République et plus précisément aux projets de loi portés par Marylise LEBRANCHU, Ministre de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique.
Du 16 mai 2012, constitution du Gouvernement Ayrault I, à la présentation des trois projets de loi en Conseil des Ministres, cette élaboration s’inscrit dans un contexte de très large concertation entre l’Etat, les associations d’élus et les acteurs de la société civile mais aussi entre les différents acteurs de l’exécutif. Cette concertation a fortement et constamment impacté sur le texte initial qui s’est vu découpé en trois textes la semaine précédant sa présentation. Son étude permet alors de révéler les différents jeux de pouvoir entre ses acteurs et comprendre quelles sont leurs relations, leurs ressources, leurs contraintes. Il est déjà remarquable que les élus locaux et leurs associations ont été prépondérants dans ces luttes en s’alliant successivement avec les différents acteurs de l’exécutif et avec leur institution représentative : le Sénat.
L’enjeu de cette note est donc de comprendre comment cette concertation avec les acteurs locaux, et en particulier les associations d’élus, a impacté sur les projets de texte initiaux présentés par le Ministère de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique (MREDFP) et pourquoi il en a résulté une partition en trois textes. Les jeux d’influences et d’alliances entre les associations et les composantes de l’exécutif face au MREDFP peuvent constituer une grille d’analyse adéquate pour cette étude. De plus, il est nécessaire d’étudier de contenu de la réforme pour, à la fois, comprendre quels compromis ambigus ont été conclus et quels acteurs ont pu imposer leur rationalité sur celle des autres. Enfin, il est également intéressant de comprendre quelles sont les ruptures et les continuités de cet acte III par rapport aux deux premiers actes de la décentralisation de 1982-1986 et 2003-2004.

En quoi l’élaboration de l’acte III de la décentralisation met en valeur la prépondérance des élus locaux et la réussite de leur stratégie dans son processus ?



Plan


I Contexte et enjeux de l’acte III de la décentralisation

1°) Origines et mise à l’agenda de l’acte III : le parti socialiste ou le parti des élus locaux

2°) Contexte gouvernemental et stratégie adoptée : l’acte III couplé à la réforme de l’Etat

3°) Typologie et rationalités des acteurs engagés dans le processus d’élaboration de l’acte III

II La concertation relative à l’élaboration du projet de loi comme processus de lutte

1°) Concerter pour éviter les erreurs des gouvernements précédents

2°) L’enlisement : entre arbitrages difficiles, fuites et pressions médiatiques

3°) Le parasitage de la concertation générale par les micro-conflits et les conflits parallèles

III Un acte III en trois scènes : bilan et orientations

1°) La partition de l’acte III en trois textes ou la victoire du Sénat et des élus locaux

2°) Entre ruptures et continuités des orientations des trois textes

3°) L’acte III en est-il un ?




I Contexte et enjeux de l’acte III de la décentralisation
1°) Origines et mise à l’agenda de l’acte III : le parti socialiste ou le parti des élus locaux

La mise à l’agenda de l’acte III de la décentralisation par des socialistes répond à plusieurs facteurs historiques et contextuels qui vont mener à l’inclusion de cette réforme dans le programme présidentiel de 2012 de François Hollande.

Tout d’abord, la relation historique des socialistes avec la décentralisation n’est pas linéaire. Ainsi la gauche et les socialistes sont historiquement jacobins durant tout le XXe siècle. Cet attachement à un pouvoir central est issu du corpus idéologique de la pensée montagnarde couplé à la pensée marxiste. Cependant, il existe déjà des pensées décentralisatrices dans la SFIO du début du XXe siècle. Les broussistes, très minoritaires, tenants du socialisme municipal et de la transformation sociale du bas vers le haut, s’opposent ainsi aux guesdistes, révolutionnaires et centralistes, et aux jaurésiens.
Outre ces minoritaires du XXe siècle, la SFIO puis le PS reste avocat de la centralisation du pouvoir. Cependant le développement de la deuxième gauche et l’arrivée de Michel Rocard en 1974 au PS renforcent les volontés décentralisatrices chez les socialistes. Ainsi, les idées du groupe d’action municipal (GAM), qui promeuvent les thèmes d’une décentralisation vectrice de plus de démocratie et comme contre-pouvoir à l’Etat central gaulliste, convainquent François Mitterrand d’intégrer la décentralisation dans ses 110 propositions pour 1981.
La décentralisation devient alors l’œuvre des socialistes. L’acte I a constitué « la grande affaire du quinquennat » 1982-1986 puis tous les gouvernements socialistes se sont attelés à une réforme territoriale avec entre autre la loi ATR de 1992, la loi Voynet de 1997, la loi Chevènement de 1999, ou encore la loi démocratie locale en 2002. La victoire pérenne de la deuxième gauche en interne du PS a profondément inscrit la décentralisation dans les rationalités du parti. Pourtant, la gauche éloignée du pouvoir entre 2002 et 2012 s’est vue retirer le monopole de la décentralisation. En effet, la droite, ayant intégré ce mode d’organisation dans son corpus idéologique et ayant développé une forte base d’élus locaux, relance en 2003 le processus de décentralisation par ce qu’elle appellera l’acte II.
                                                                                                     
Ecarté du pouvoir entre 2002 et 2012, le PS va, par des victoires locales successives, renforcer sa base d’élus locaux et ainsi remettre la décentralisation au cœur de ses préoccupations.
Suite à la défaite du 21 avril 2002, le Parti socialiste s’est progressivement reconstruit comme le premier parti d’opposition de France. A défaut de pouvoir remporter les élections présidentielle et législative de 2007, les socialistes remportent toutes les élections locales et gagnent ainsi la majorité des exécutifs locaux. Les régionales de 2004 marquent le début de ce cycle victorieux avec 20 régions métropolitaines sur 22 à gauche. Cette dynamique est poursuivie par les cantonales et municipales de  2008, les régionales de 2010 et les cantonales de 2011 ; toutes largement gagnées par les socialistes et leurs alliés. Par conséquent, la majorité des collectivités territoriales passe à gauche à la veille de 2012 : 21 régions métropolitaines sur 22, 54 conseils généraux sur 101 et la plupart des grandes villes.
Cette situation de domination induit deux conséquences. D’une part, on observe un renforcement des intérêts locaux au PS et du poids des élus locaux en interne, renforcé par leurs situations de cumul. D’autre part, les socialistes accèdent à la présidence de presque toutes les associations généralistes d’élus : l’ADF (départements avec Claudy Lebreton PCG22), l’ARF (régions avec Alain Rousset, PCR Aquitaine) et l’ADCF (communautés avec Daniel Delaveau, Président de Rennes Métropole).
En plus de ces victoires, on observe un fort mécontentement de la part des élus locaux de tous bords au sujet de la politique territoriale des gouvernements de droite, en particulier au sujet de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010. Ce mécontentement mène à la victoire historique des socialistes aux sénatoriales 2011. Jean-Pierre Bel, proche de François Hollande est élu Président du Sénat. Le PS est donc en 2012 bien le parti des élus locaux, des collectivités territoriales et de leurs représentants au Parlement.

L’apparition de l’acte III de la décentralisation dans le programme du parti est donc très logique suite à ces deux facteurs historique et contextuel. La Fédération nationale des élus socialistes et républicains (FNESR) a pris la tête de la fronde anti réforme territoriale en 2010. L’idée est d’en finir rapidement avec ce texte et de lancer un acte III ambitieux face à un acte III manqué par la droite qui a soulevé le mécontentement unanime des élus locaux.
La FNESR présente alors un « projet de loi cadre portant organisation territoriale de la République Française » en juillet 2011. Ce qui n’est qu’un exposé des motifs présenté par la Présidente de la FNESR, Marylise Lebranchu, expose trois principes qui seront le corps de l’acte III qui devra être porté par un gouvernement socialiste en 2012 : la justice sociale (accès service public, reconnaître l’initiative locale, réforme de la fiscalité locale et de la péréquation), l’efficacité de l’action publique (lisibilité de la répartition compétences, chefs de file, conférences régionale des compétences, développement de l’expérimentation, transfert partiel du pouvoir réglementaire) et une haute qualité démocratique (abrogation conseiller territorial, de nouveaux modes de scrutins pour les régions et les départements, loi-cadre sur statut de l’élu).
Cette proposition est ensuite intégralement transposée dans le projet socialiste pour 2012 qui servira de base pour les Primaires citoyennes de l’automne 2011. Elle se retrouve donc dans le programme présidentiel du candidat Hollande à la  proposition 54. Ce nouvel acte sert alors de projet phare de la mobilisation des élus pour l’élection présidentielle de 2012.

On peut enfin analyser cette mise à l’agenda par les quatre rationalités décentralisatrices énoncées par Patrick Le Lidec (Le Lidec, 2011). La logique d’affichage en pleine campagne présidentielle reste la rationalité la plus présente mais elle est articulée aux fortes contraintes des volontés décentralisatrices des élus locaux et la stratégie de partage du pouvoir qui anticipe les futures défaites électorales. La dernière rationalité d’évitement du blâme et de transfert de l’impopularité n’est pas forcément mise ici en valeur mais elle pourra permettre par la suite au futur gouvernement, en période de forte contrainte économique, de rejeter une part de la faute sur les collectivités.

2°) Contexte gouvernemental et stratégie adoptée : l’acte III couplé à la réforme de l’Etat

Suite à la victoire présidentielle de François Hollande le 6 mai 2012, un premier gouvernement est formé le 16 mai sous la conduite de Jean-Marc Ayrault. Marylise Lebranchu, présidente de la FNESR est désignée comme Ministre de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique (MREDFP) et est chargée de l’acte III de la décentralisation.
Le choix d’allier réforme de l’Etat, décentralisation et fonction publique n’est pas nouveau. C’est le retour à une conception proche de celle des années 1990 de la réforme de l’Etat qui marque la sortie de la logique qui la reliait au Budget. La décentralisation est donc le nouveau moteur de la réforme de l’Etat (future modernisation de l’action publique, MAP).
L’exécutif fait le pari d’un grand Ministère transversal avec autorité sur trois directions : la direction générale des collectivités locales (DGCL partagée avec l’Intérieur), la direction générale de la modernisation de l’Etat (DGME, futur SGMAP) et la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). Le MREDFP est renforcé au remaniement post-législatives d’une Ministre déléguée à la décentralisation, Anne-Marie Escoffier. La décentralisation peut donc sembler redevenir la « grande affaire du quinquennat » comme elle l’avait été entre 1981 et 1986.

Cependant, les premiers choix de répartition des projets du Gouvernement entre les différents ministres témoignent de l’absence d’unité en ce qui concerne les collectivités territoriales. Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur est responsable des réformes relatives aux modes de scrutins locaux et aux redécoupages des circonscriptions électorales. Le Ministère du Budget est chargé des réformes financières et fiscales. Enfin, le Ministère de l’égalité des territoires est chargé des politiques d’aménagement.

Le choix est donc fait que le MREDFP mènera un nouvel acte de la décentralisation qui portera sur la réalisation de l’engagement 54 en termes de répartition et de clarifications de compétences et en termes de réinstauration du dialogue entre l’Etat et les collectivités. Ce qui est présenté alors comme acte III est donc à la base amputé de son versant fiscal et électoral renvoyé à des lois non synchrones.

3°) Typologie et rationalités des acteurs engagés dans le processus d’élaboration de l’acte III
                                                                                             
En tant que projet de réorganisation des pouvoirs entre Etat et niveaux de collectivités, cet acte III peut s’analyser comme un processus de réallocation de pouvoir entre acteurs. La lutte induite par ce processus va s’inscrire dans une longue période de concertation (analysée en partie II), mais une typologie des acteurs est nécessaire pour comprendre les évènements de cette période.
Avant cette typologie, il faut rappeler les quatre mécanismes structurants d’une réforme des institutions locales (Le Lidec, 2008) : les relations entre les associations d’élus et les différents organes de l’exécutif (ministères transversaux et sectoriels), le cumul des mandats locaux et parlementaires qui renforcent le poids national des élus locaux et de leurs associations, le rôle du Sénat comme représentant des collectivités locales et la non différentiation entre les personnels politiques locaux et gouvernementaux. Les réformes des institutions locales sont donc influencées par des jeux décisionnels majoritairement autour des élus et de leurs rationalités en mettant au second plan l’influence des ministères et des directions générales.

Tout d’abord, on peut déjà observer les concurrences au sein de l’exécutif entre les différents ministères ayant des relations avec les collectivités territoriales
Les ministères transversaux sont en concurrence sur leur capacité à mettre en œuvre leur processus de réforme globale de l’administration de l’Etat. Comme on l’a déjà vu le MREDFP est chargé de la réforme de la décentralisation et également de la nouvelle réforme de l’Etat : la modernisation de l’action publique (MAP). Son but est résolument décentralisateur mais son versant MAP le pousse à inscrire cette décentralisation dans une tension constante entre amélioration du service public et économie budgétaire. Le Ministère de l’Intérieur est en concurrence avec le MREDFP sur tous les thèmes concernant les relations avec les élus locaux, concurrence s’incarnant dans la tutelle partagée des ministères sur la DGCL. Même si l’Intérieur est historiquement décentralisateur, il fait ici preuve d’une certaine réticence à la perte de pouvoir progressive des préfets sur l’action publique locale et tente de conserver le rôle de coordination que ses relais locaux ont. Enfin le Ministère du Budget est lui aussi historiquement décentralisateur mais est en concurrence avec le MREDFP sur les éléments financiers. D’une part, il désire que la MAP ne soit qu’un vecteur d’économies et d’autre part il lutte pour que la décentralisation soit un autre vecteur d’économie au service de l’assainissement des finances publiques. Tout cela est fait par le Budget en ralentissant au maximum une éventuelle réforme fiscale qui diminuerait le pouvoir de l’exécutif sur les collectivités récemment considérées comme des vecteurs de dérapage de la dépense publique.
De plus, les relations avec la direction bicéphale de l’exécutif ne sont pas claires. La gauche n’a plus l’habitude d’être à la fois à Matignon et à l’Elysée depuis 1993. Ainsi, en ce qui concerne les arbitrages sur la décentralisation, ceux-ci oscillent entre la Présidence de la République qui a la volonté de contenter les élus et conserver un soutien stable de ceux-ci et le Premier Ministre qui a le pouvoir de trancher les conflits interministériels et qui agit parallèlement comme un ministère transversal en charge de la réforme.
Enfin, classiquement les ministères sectoriels ne sont pas vraiment enclins à la réforme et observent une position défensive en ce qui concerne les transferts de compétence aux collectivités locales. Tout transfert signe une perte de pouvoir du ministère en charge de la politique et, face à la récente prise de contrôle de leurs administrations déconcentrées par l’Intérieur, toute coopération au processus semble dangereuse.

Second groupe concerné par l’élaboration du projet d’acte III, les associations d’élus ont chacune leur rationalité et les intérêts de leurs membres à défendre. Le fait que la plupart d’entre elles soit dirigée par des socialistes complique les négociations et les place au rang d’alliés naturels du Gouvernement qu’il faut ménager. Cependant, la couleur politique des présidents de ses associations ne change pas leur rationalité. Ces associations agissent toutes comme des syndicats de présidents d’exécutifs locaux. L’adéquation avec l’exécutif national pourrait cependant indiquer à la fois le degré de connivence avec le personnel gouvernement mais aussi l’internalisation des conflits au sein d’une certaine famille politique.
Les grandes associations généralistes représentent chacune les intérêts de sa catégorie de collectivité. Pour analyser leurs rationalités, on peut reprendre la typologie d’Albert Mabileau de 1997. L’association des maires de France (AMF) est la plus grande et la plus puissance association d’élus regroupant 95% des 36700 communes de France. Dirigée par Jacques Pelissard, Député-Maire UMP de Lons-le-Saunier secondé par André Laignel, Maire d’Issoudun et ancien Secrétaire d’Etat, l’AMF défend une position de défense des communes et d’équilibre entre ses différentes composantes (cf. infra). L’association lutte contre les volontés de centralisations régionales et départementales des autres collectivités. Mais sa polarisation plutôt rurale en fait le défenseur l’identité locale, de la lutte contre la désertification rurale et de la lutte contre la transformation des intercommunalités en collectivités locales. L’association des communautés de France (ADCF) est une jeune association dirigée par Daniel Delaveau, Maire PS de Rennes, qui représente les intercommunalités du territoire. Leurs volontés pour l’acte III s’articulent autour du développement de l’intercommunalisation et de la mutualisation des compétences au détriment des communes. L’ADCF bénéficie du mouvement général de renforcement de l’intercommunalité depuis 1992 et 1999 et se renforce de plus en plus. La transformation des EPCI en véritable collectivité territoriale est une idée qui n’y lève que peu d’oppositions. L’Assemblée des départements de France (ADF) est dirigée par Claudy Lebreton, Président du Conseil général des Côtes-d’Armor. Ancienne association à la position privilégiée dans la galaxie des associations d’élus, l’ADF s’est récemment vue contrainte d’adopter une position défensive face à la monté en puissance des régions au cours des différentes réformes territoriales et face aux volontés de certains de supprimer l’échelon départemental. L’association des régions de France (ARF) est dirigée par Alain Rousset, Président PS du Conseil régional d’Aquitaine et député de la Gironde. L’ARF est la grande gagnantes des précédentes réformes et de l’orientation annoncée par le Président de la République sur l’acte III. Leur but va donc être de récupérer le maximum de nouvelles compétences de l’Etat et des autres collectivités.
Les associations sectorielles de communes ont un rôle moins important dans les négociations. Cependant leur poids politique reste intéressant du fait de la stature de leurs dirigeants et elles structurent les rapports de forces internes à l’AMF. On peut ainsi reprendre la pyramide des élus énoncée par Albert Mabileau dresser cette sous-typologie. Les « grands notables » au sommet de la pyramide se retrouvent au sein de l’Association des maires des grandes villes de France (AMGVF), dirigée par Michel Destot, Maire PS de Grenoble, et l’Association des communautés urbaines de France (ACUF), dirigée par Michel Delbarre, Sénateur-Maire PS de Dunkerque et ancien Ministre d’Etat. Ces collectivités et leurs chefs d’exécutif, cumulards par excellence, ont un fort poids sur la scène nationale et sont historiquement les grands bénéficiaires de la décentralisation. Leur but est de centraliser au maximum le pouvoir local autour des grands centres urbains (souvent les capitales de régions). Pour cela, ils sont les grands avocats des projets de métropole. Les « barons intermédiaires » et les « vassaux » se retrouvent au sein de la Fédération des villes moyennes (FVM), dirigée par Christian Pierret, Maire PS de Saint-Dié-des-Vosges et ancien Ministre, et au sein de l’Association des petites villes de France (APVF), dirigée par Martin Malvy, 1er adjoint au maire PS de Figeac, Président PS du Conseil Régional de Midi-Pyrénées et ancien Ministre. Egalement cumulant des mandats locaux et nationaux, leur but est de conserver la dimension d’équilibre des villes moyennes et des petites villes en s’opposant potentiellement à la métropolisation. Enfin, les « petits élus » représentés par l’Association des maires ruraux de France (AMRF), dirigée par Vanik Berberian, Maire Modem de Gargilesse-Dampierre, restent en marge de la décentralisation. Ils sont opposés à la diminution du rôle de l’Etat et plutôt « embarrassés » par de nouvelles prérogatives. Les maires ruraux sont également plutôt opposés au développement de l’intercommunalité contrairement aux précédents.
Enfin on peut retrouver des associations sectorielles thématiques dont le poids est plus ou moins fort dans les négociations selon leurs dirigeants. On peut citer en exemple l’ANEM (élus de montagne, dont le vice-président est Laurent Wauquiez, ancien ministre UMP), l’ANEL pour les élus littoraux ou encore le GART (groupement des autorités de transport, dirigé par Roland Riès, Maire de Strasbourg). Chacune de ses associations ne défend que les thèmes spécifiques à sa spécialisation et peut ainsi faire modifier radicalement une des parties d’un texte.

Enfin pour terminer cette typologie, il faut aborder le cas des acteurs parallèles. Pas pleinement engagés dans les négociations, leur rôle peut être déterminant sur certains points d’un projet de réforme des institutions locales.
Le Sénat occupe une place centrale au sein des négociations de l’acte III. En tant que représentant des collectivités au Parlement, il est leur relais de choix sur Paris et est le lieu où est le plus incarné le cumul entre mandat local et national. Même si la majorité sénatoriale est récemment passée à gauche, celle-ci est plus incertaine qu’à l’assemblée et également moins politisée. On pourrait analyser la Haute Assemblée comme un autre relais syndical des élus locaux au sein du Parlement. De plus, depuis l’acte II de la décentralisation et la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, les textes relatifs aux collectivités passent en priorité au Sénat. On observe un pouvoir de véto essentiel des élus locaux (Le Lidec, 2009) au sein de cette assemblée qui peut censurer le texte du Gouvernement dès le passage en commission depuis la réforme constitutionnelle de 2008. Cet effet de véto est renforcé par l’effet boomerang (Hood) ou de feedback institutionnel qui fait que le Sénat agit directement sur son collège électoral en favorisant un type de collectivité par rapport à une autre. Ainsi, pour passer l’étape difficile du Sénat, le Gouvernement, et en particulier le MREDFP, doit présenter un projet de loi compromis entre ambition et faisabilité politique.
Les grandes centrales syndicales de la fonction publique doivent elles aussi être consultées pour éviter des mouvements sociaux dans les trois fonctions publiques. Elles ont un rôle limité sur le fond et l’économie générale du texte. Cependant, elles peuvent être amenées à une négociation très poussée sur les conditions de transfert de personnel. La gestion de l’acte III par le MREDFP pousse ainsi à donner un rôle plus important qu’à l’accoutumé aux négociations sociales dans un processus de décentralisation.
Enfin les représentants des associations de la société civile n’ont qu’un rôle limité. Mais leur consultation est incontournable par les différents acteurs du changement pour éviter les blâmes publics (manifestations et mobilisations diverses).




II La concertation relative à l’élaboration du projet de loi comme processus de lutte
1°) Concerter pour éviter les erreurs des gouvernements précédents

L’élaboration d’un acte de décentralisation est un processus politique qui peut prendre plusieurs formes selon les époques. Ainsi, les acte I et II ont préféré la méthode de « l’onde de choc » (Gaston Defferre) appelée par les scientifiques « loi locomotive » (Le Lidec, 2005) ou « processus incrémental radical » (Thoenig, 1982).
L’acte I a été conduit par Gaston Defferre, Ministre d’Etat de l’Intérieur et de la décentralisation : N°1 protocole dans le Gouvernement Mauroy. En plus de bénéficier d’une surface ministérielle que Marylise Lebranchu n’a pas, le projet de loi a très rapidement élaboré entre le Ministère de l’Intérieur, le Budget, Matignon et l’Elysée durant l’été 1981. Il est présenté le 27 juillet au premier Conseil des Ministres de la rentrée 1981 et est déposé à l’Assemblée le lendemain. La stratégie de « l’onde de choc » a consisté en un vote très rapide d’une loi cadre (première loi discutée dans la législature après la loi d’amnistie) pour ensuite dérouler le processus de décentralisation au fil de la législature. Cette stratégie allant du symbolique au technique a réservé les négociations et concertations sur les sujets techniques et a politisé – donc sorti de toute concertation – le corpus de principes de cette décentralisation.
L’acte II répond assez bien à cette logique. Coordonnée par Matignon, la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 a été la première pierre de cet acte puis elle est suivie par plusieurs projets de loi de transferts. Il faut cependant insister sur le fait qu’en raison de la difficulté d’une réforme constitutionnelle et du véto potentiel du Sénat, des négociations avaient été menées en amont de la réforme.

L’acte III porté par la gauche se place dans le contexte d’un acte III manqué par la droite : la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales. Cette loi, dont les discussions houleuses ont été conduites devant le Parlement durant toute l’année 2010, était issue des conclusions du Comité BALLADUR de 2009. Cette stratégie d’appel à un comité d’experts « indépendants » avait été pensée pour éviter le blâme et la trop grande influence des élus (Le Lidec, 2009). Pourtant, cet usage n’a pas facilité les discussions parlementaires et a soulevé de grandes oppositions chez les élus locaux. Leur sentiment de ne pas avoir été pris en compte dans cette réforme a pu être analysé comme l’une des raisons du basculement historique du Sénat à gauche en septembre 2011.

L’élaboration du projet de loi sur la décentralisation qui sera le corps de l’acte III est sous la responsabilité du MREDFP et de Marylise Lebranchu. Voulant donc rompre avec la méthode du gouvernement précédent, il est fait le choix de la concertation avec tous les acteurs locaux. Outre l’affichage social-démocrate du Gouvernement Ayrault, cette stratégie est pensée comme un évitement du blâme généralisé par la participation de tous à l’élaboration du projet de loi.
La concertation doit alors être conduite par le MREDFP et son Ministère délégué à la décentralisation durant l’été et la rentrée 2012 pour aboutir à une loi unique et globale à la fin de l’année. Les discussions parlementaires sont prévues pour commencer au Sénat début 2013.
Ce calendrier ne sera pas respecté et la concertation va alors rentrer dans un enlisement constant.

2°) L’enlisement : entre arbitrages difficiles, fuites et pressions médiatiques

L’enlisement de la concertation peut se caractériser par de nombreux décalage du calendrier et par des modifications substantielles des versions successives du projet de loi.

Les collectivités se mobilisent chacune sur des points précis du texte pour affirmer leur force et tenter d’augmenter ou de conserver leurs prérogatives et compétences. Chaque président d’association tente de forcer l’agenda médiatique en imposant ses thèmes. Marylise Lebranchu quant à elle dans son tour de France des congrès d’élus tente de désamorcer les différentes oppositions pour préparer les négociations. Ces dernières se bloquent régulièrement à chaque nouvelle version de texte présenté et plusieurs rencontres sont nécessaires pour tenter de convaincre chacun des représentants des niveaux de collectivités et des associations sectorielles.

La concertation et les négociations sont également compliquées par des arbitrages complexes et inattendus de la part de la tête de l’exécutif. Les arbitrages du Président de la République arrivent sans que MREDFP ou même les conseillers de l’Elysée soient informés des décisions du Président. Les arbitrages du Premier Ministre mettent du temps à arriver sur les sujets techniques et plusieurs revirements issus de luttes entre ministères ou entre l’exécutif et les associations empêchent l’exécutif d’avoir une position unique.
On peut très nettement analyser ces difficultés d’arbitrage par des luttes internes entre ministères transversaux sur le contrôle de la réforme et entre le MREDFP et les ministères sectoriels qui usent de leur inertie pour ne pas remonter leurs listes de compétences à décentraliser.

Ces revirements de l’exécutif affaiblissent Marylise LEBRANCHU et rendent la concertation de moins en moins facile entre le MREDFP et les différents acteurs. De fuites régulières des pré-projets de loi dans la presse spécialisée renforcent également les tensions et obligent le Gouvernement à multiplier les tours de négociations.
Au fur et à mesure, les différents arbitrages désavouent le MREDFP dans sa conduite de la réforme et réduisent sa surface ministérielle. Les cabinets du Premier Ministre et du Président de la République (PR) conduisent des négociations parallèles d’où sont issues les arbitrages.
De plus, on peut observer une certaine alliance entre l’Elysée et le Sénat. A ce sujet, les Etats généraux de la démocratie territoriale, organisés par le Sénat à dessein de préparer l’acte III, sont un exemple de volonté de cette institution de contrôler le processus en amont et dépasser le MREDFP. Ainsi, le discours de clôture du PR vient légitimer cet acte de contournement par l’exclusivité l’annonce des principes généraux de l’acte III (abrogation du conseiller territorial, régions comme chef de file des compétences économiques, Haut Conseil des territoires).
Enfin, les erreurs de communication de Marylise Lebranchu ne fluidifient pas l’ambiance générale de la concertation. Ainsi, dans le but d’affirmer son rôle central dans l’élaboration du texte – et ainsi affaiblir les ambitions de Manuel Valls sur le contrôle de la procédure –, la Ministre annonce dans une interview accordée aux Echos, le 24 septembre 2012, que « le texte est prêt ». La concertation n’avait pas encore commencé.

3°) Le parasitage de la concertation générale par les micro-conflits et les conflits parallèles

Ces différents évènements qui ont mené au décalage du calendrier et aux diverses modifications en termes de fond peuvent également s’expliquer par des conflits parallèles au texte. Ceux-ci affaiblissent la capacité d’action du MREDFP et renforcent les tensions entre l’exécutif et les collectivités territoriales.

On peut tout d’abord observer des micro-conflits inhérents au projet de loi qui, de par leur intensité, réduisent la capacité du MREDFP à se concentrer sur le reste du texte. Le cas des métropoles de Marseille, Paris et, dans une certaine mesure, Lyon est le plus topique. Le cas de Marseille est le plus révélateur. La volonté de fusionner les sept communautés d’agglomérations autour de Marseille en une métropole à statut législatif soulève les oppositions des six EPCI non marseillais. Ce dossier est prégnant dans l’activité de la Ministre Lebranchu et de son cabinet ; occupant de longues semaines de négociations avec des élus à la culture politique rude. Ce projet de métropole occupe un espace qui occulte les autres thèmes de l’acte III et perturbe les autres versants de la concertation générale en rajoutant des tensions politiques entre les représentants des diverses associations d’élus.

De plus, on peut observer d’autres micro-conflits parallèles non reliés au projet de loi qui exacerbent les tensions entre l’exécutif et les associations d’élus. Ces micro-conflits concernent surtout la finalisation de la rationalisation de la carte intercommunale débutée sous le gouvernement précédent. La volonté de couverture intégrale du territoire national par des intercommunalité avait été l’un des points de friction les plus important de la loi du 16 décembre 2010 et de son application. Les conflits locaux sont nombreux et sont vecteurs de tensions entre les autorités déconcentrées et les associations d’élus, en particulier l’AMF.

Enfin, plusieurs conflits majeurs de redéfinition des rapports de force locaux peuvent être interprétés comme les plus forts déstabilisateurs de la concertation. L’acte III ne portant que sur la réallocation des compétences, c’est-à-dire la décentralisation administrative, les autres pans démocratiques et fiscaux sont d’autres fronts que les associations d’élus défendent face à d’autres ministères.
D’une part, le Ministère de l’Intérieur conduit deux réformes relatives aux régimes électoraux des collectivités locales : la réforme électorale (scrutin binominal départemental, scrutin intercommunal semi-direct, abrogation du conseiller territorial) et la loi sur le non cumul des mandats. Si la première n’a des échos défavorables qu’au Sénat qui reste attaché au scrutin uninominal cantonal et à l’intercommunalité comme l’union de communes, la seconde vient redéfinir totalement le rôle et le poids des élus locaux. Il n’est pas sans rappeler que la légitimité des élus locaux et la force des associations d’élus s’est construite sur le cumul entre mandat parlementaire et mandat exécutif local (Dupuy, Thoenig 1983, 1985). Cette réforme parallèle est donc vécue par les élus locaux comme une diminution de leur pouvoir de négociation et donc comme une forme de recentralisation implicite par l’exécutif.
D’autre part, le Ministère du Budget conduit une politique de diminution des dotations aux collectivités locales dans le but d’assainir les finances publiques. Ajoutée à la situation économique et financière ressentie comme très difficile par les collectivités et l’absence d’une décentralisation fiscale, cette politique budgétaire est également ressentie comme une forme de recentralisation.
C’est donc pour cela que la concertation relative au projet de loi de décentralisation apparaît pour les associations d’élus comme le seul moyen de conserver ou d’accroître leur pouvoir. Il n’est donc pas étonnant que les luttes internes à la concertation soient les plus virulentes : les collectivités et en particulier les élus luttent pour leur survie politique.



III Un acte III en trois scènes : bilan et orientations
1°) La partition de l’acte III en trois textes ou la victoire du Sénat et des élus locaux

La stratégie de Matignon et de l’Elysée a été de transférer au maximum le blâme sur le MREDFP pour s’assurer du soutien des associations d’élus et du Sénat sur l’acte III et sur les autres réformes en cours. L’annonce de la partition du projet de loi relatif à la décentralisation en trois projets de loi vient marquer la victoire du Sénat et des élus locaux. La décision découle de la volonté de réduire au maximum le risque de refus par la Haute Assemblée du texte en laissant du temps à d’autres formes de concertations sur les différentes parties de cet acte III. On peut sentir ici l’intensité des négociations et la volonté d’affichage de la victoire du Sénat face à Marylise Lebranchu par l’annonce de cette partition par Jean-Pierre Bel, le Président du Sénat. Même si la confirmation viendra par la suite du Premier Ministre, ce non-respect du protocole marque une volonté d’humiliation symbolique du MREDFP par la Haute Assemblée.

Le 10 avril 2013, trois projets de loi sont donc présentés en Conseil des Ministres : un premier de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles qui sera discuté au printemps, un second de mobilisation des régions pour la croissance, l’emploi et la promotion de l’égalité des territoires qui sera discuté à l’été et un troisième de développement des solidarités territoriales et de démocratie locale prévu pour être discuté à la fin 2013. Aucune modification substantielle n’a été apportée depuis la version 7 du texte qui avait été révélée dans la presse avant la présentation du projet de loi au Conseil d’Etat.

2°) Entre ruptures et continuités des orientations des trois textes

Les trois projets de lois sont à la fois éloignés des premières ambitions de la FNESR d’avant la présidentielle et des premières versions de travail. Il est impossible d’analyser point par point ces textes et leurs différentes versions. Mais on peut constater qu’ils sont issus d’une stratégie de désamorçage des conflits entre collectivités. C’est le fruit de compromis ambigus entre les acteurs.

En suivant la théorie de la décentralisation séquentielle de Faletti (Faletti, 2005), on peut qualifier cet acte III de décentralisation administrative. Ce type de décentralisation est en continuité avec l’acte II de 2003-2004 et la loi du 16 décembre 2010 qui se sont cantonnés à une redéfinition des compétences contrairement à l’acte I dont la séquence a été fiscale puis politique puis administrative (Le Lidec, 2011).

On observe ainsi de nouveaux principes comme la libre coordination des collectivités territoriales qui suit une logique de contractualisation de la répartition des compétences. La concertation est accrue entre l’Etat et les collectivités grâce au Haut Conseil des Territoires et aux Conférences Territoriales de l’Action Publique (assez proches des projets de la FNESR). Enfin de nouvelles structures mettant en valeur la compétitivité des territoires sont créées à l’image des métropoles. Ces nouveaux principes sont en partie inspirés du new public management pour ce qui est de la contractualisation et de la mise en concurrence – très limitée – des territoires. Pourtant cette dimension n’est pas au cœur de la décentralisation qui s’analyse plutôt comme le résultat d’une transaction politique (Le Lidec, 2005).

D’autre part les trois projets de loi, en augmentant les compétences des collectivités, suivent la logique des lois précédentes de décentralisation. Cette non-nouveauté témoigne à la fois de la dépendance au sentier (Pierson) des gouvernements par rapports aux actes précédents et d’un « certain bricolage institutionnel » (Mabileau, 1997) en utilisant des procédures classiques de décentralisation. De fait, on retrouve de simples transferts plein et entiers de compétences – important pour certains (fonds européens, emplois…) – mais pas d’innonvation comme l’expérimentation et la différentiation des compétences décentralisées selon les régions. On observe donc un simple approfondissement de la décentralisation par des modifications à la marge (chefs de file et retour à la clause générale) et non pas une modification majeure du logiciel de la décentralisation.

Enfin établir qui sont les gagnants et les perdants de cette concertation et de l’élaboration des trois projets de loi ne semble pas simple. Les régions et les intercommunalités semblent bénéficier le plus de ce nouvel acte avec de plus grands transferts de compétence au détriment des communes et des départements. Cependant, les régions perdent à leur tour sur les compétences différées.
Le compromis qui se dégage de ces négociations n’est encore à son début et les discussions au Parlement peuvent encore faire bouger les lignes. Les associations d’élus vont ainsi renforcer leur lobbying auprès de leurs relais parlementaires pour mener une seconde séquence le lutte qui peut encore changer l’équilibre général du texte.

3°) L’acte III en est-il un ?

Pour conclure cette analyse au sujet de cet acte III, il est intéressant de réfléchir à la légitimité de le nommer comme tel ou simplement « nouvel acte de la décentralisation » comme a pu le renommer Marylise Lebranchu à la mi-novembre 2012 en anticipant par sa stratégie de communication la difficulté prévue de la concertation et de l’élaboration du texte.

Les trois textes présentés en Conseil des Ministres le 10 avril 2013 constituent certes une base pour une nouvelle période décentralisation. Mais contrairement aux deux autres actes, on ne retrouve aucun texte matrice de l’acte. L’absence de cette « loi locomotive » ou d’un « processus incrémental radical » n’est pas forcément révélateur de la non-existence d’un acte III. On peut très bien les analyser simplement en tant que procédure de mise en mouvement de l’acte et non comme ce qui en constitue sa substance.
S’il y a acte III, c’est de fait parce qu’il y a changement de logique dans l’organisation décentralisée de la République. Cette dimension peut valider la qualité d’acte III aux trois projets de loi avec l’article 1er du premier projet de loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles et de son principe de libre organisation entre collectivités des compétences décentralisées.
On peut donc dire qu’il y a acte III du fait de ce nouveau principe fondateur dans l’organisation de l’action publique décentralisée. Cependant, ce processus ne recouvre que la dimension administrative de la décentralisation.

Il serait inexact d’affirmer qu’un acte de décentralisation ne saurait être complet sans ses trois versants politique, administratif et fiscal. Cependant, la décentralisation politique est en partie incluse dans le projet de loi de réforme des scrutins locaux menée par le Ministère de l’Intérieur et est impactée par le projet de loi relatif au non-cumul des mandats. Dans la même logique, la réforme de la fiscalité locale qui devrait être prévue dans la législature devrait faire fonction de décentralisation fiscale.

C’est pour cela que l’acte III ne peut pas seulement être assimilé aux trois projets de loi relatifs à la décentralisation et à la MAP. L’acte III est un processus large qui englobe une grande partie de l’action du Gouvernement et qui devient grâce à la concertation un grand jeu de pouvoir à somme nulle sur l’ensemble des politiques relatives aux collectivités.





Conclusion

La phase de concertation et d’élaboration de l’acte III de la décentralisation montre véritablement la force des élus locaux dans les processus de réforme des institutions locales. Cette logique peut tout à fait se renforcer avec cet acte III en donnant plus de légitimité aux exécutifs locaux dans les négociations nationales. Cependant la loi sur le non-cumul des mandats risque de réduire leur force en privant les élus locaux et les présidents d’exécutif d’une stature nationale.
De plus, la concertation menée a pâti du manque de surface ministérielle du ministère qui l’a mise en œuvre. Le MREDFP est une construction ministérielle intéressante dans l’optique d’une réforme de l’Etat globale qui s’appuie sur la décentralisation et la fonction publique pour améliorer le service publique. Il semblerait pourtant qu’une surface ministérielle plus grande (Intérieur ou Premier Ministre) aurait permis une conduite plus simple des négociations interministérielles et avec les associations.

La construction de l’acte III n’est pas encore terminée et les discussions au Sénat viennent de commencer. Ces dernières vont être un nouveau lieu d’affrontement des intérêts locaux et l’étude du texte de sortie pourra permettre d’identifier des gagnants ou des perdants dans cet acte III.


Bibliographie

·       DUPUY François, THOENIG Jean-Claude, « La loi du 2 mars 1982 sur la décentralisation. De l’analyse des textes à l’observation des premiers pas », in Revue française de science politique, 1983, V. 33, N°6
·       DUPUY François, THOENIG Jean-Claude, L’administration en miettes, Fayard, Paris, 1985
·       FALLETI Tulia G., « A Sequential Theory of Decentralization : Latin American Cases in Comparative Perspective » in American Political Science Review, V. 99, N°3, 2005, pp. 327-348
·       GUIULY Eric, Il y a 30 ans, l’Acte I de la décentralisation ou l’histoire d’une révolution tranquille, Berger Levrault, Paris, 2012
·       LE LIDEC Patrick, « La relance de la décentralisation en France : de la rhétorique managériale aux réalités politiques de l’acte II », in Revue Politiques et Management Public, V. 23, N°3, sept. 2005
·       LE LIDEC Patrick, « Le jeu du compromis, l’Etat et les collectivités territoriales dans la décentralisation en France », in RFAP, 2007/1, N°121-122, pp. 111-130
·       LE LIDEC Patrick, « La réforme des institutions locales », in BORRAZ et GUIRAUDON, Politiques publiques, Presses de Sciences Po, Paris, 2008
·       LE LIDEC Patrick, « Réformer sous contraintes d’injonctions contradictoires : l’exemple du comité BALLADUR sur la réforme des collectivités territoriales », in RFAP, 2009/3, N° 131, pp. 477-496
·       LE LIDEC Patrick, « Décentralisation », in PASQUIER, GUIGNER, COLE, Le dictionnaire des politiques territoriales, Presses de Sciences Po, 2011
·       LE GALES Patrick, « Les deux moteurs de la décentralisation », in PEPPER et alii La France en mutation. 1980-2005, Presses de Sciences Po, Paris, 2008

·       MABILEAU Albert, « Les génies invisibles du local. Faux-semblants et dynamiques de la décentralisation », in Revue française de science politique, 1997, V. 47, N° 3, pp. 340-376

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire