Sociologie de
la gestion publique et politiques de réforme de l’etat
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L’acte III de la
décentralisation
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Elaboration du projet de loi et
concertation :
la victoire des élus locaux
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Note
de recherche de fin de semestre
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Avril
2013
Introduction
La
présentation des trois projets de loi relatifs à la décentralisation et à la
réforme de l’Etat au Conseil des Ministres du 10 avril 2013 marque le début des
travaux législatifs qui seront nécessaires à l’adoption du futur acte III de la
décentralisation. Mais cette présentation marque surtout la fin d’une procédure
de concertation longue et houleuse qui a révélé de vives oppositions entre tous
les acteurs du nouveau processus de décentralisation.
L’acte
III de la décentralisation correspond à l’engagement n°54 du candidat Hollande
pendant les élections présidentielles. Nous nous intéresserons ici au processus
de traduction en droit de cet engagement de campagne du Président de la
République et plus précisément aux projets de loi portés par Marylise LEBRANCHU,
Ministre de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique.
Du
16 mai 2012, constitution du Gouvernement Ayrault I, à la présentation des
trois projets de loi en Conseil des Ministres, cette élaboration s’inscrit dans
un contexte de très large concertation entre l’Etat, les associations d’élus et
les acteurs de la société civile mais aussi entre les différents acteurs de
l’exécutif. Cette concertation a fortement et constamment impacté sur le texte
initial qui s’est vu découpé en trois textes la semaine précédant sa
présentation. Son étude permet alors de révéler les différents jeux de pouvoir
entre ses acteurs et comprendre quelles sont leurs relations, leurs ressources,
leurs contraintes. Il est déjà remarquable que les élus locaux et leurs
associations ont été prépondérants dans ces luttes en s’alliant successivement
avec les différents acteurs de l’exécutif et avec leur institution
représentative : le Sénat.
L’enjeu
de cette note est donc de comprendre comment cette concertation avec les
acteurs locaux, et en particulier les associations d’élus, a impacté sur les
projets de texte initiaux présentés par le Ministère de la réforme de l’Etat,
de la décentralisation et de la fonction publique (MREDFP) et pourquoi il en a
résulté une partition en trois textes. Les jeux d’influences et d’alliances
entre les associations et les composantes de l’exécutif face au MREDFP peuvent
constituer une grille d’analyse adéquate pour cette étude. De plus, il est
nécessaire d’étudier de contenu de la réforme pour, à la fois, comprendre quels
compromis ambigus ont été conclus et quels acteurs ont pu imposer leur
rationalité sur celle des autres. Enfin, il est également intéressant de
comprendre quelles sont les ruptures et les continuités de cet acte III par
rapport aux deux premiers actes de la décentralisation de 1982-1986 et
2003-2004.
En
quoi l’élaboration de l’acte III de la décentralisation met en valeur la
prépondérance des élus locaux et la réussite de leur stratégie dans son
processus ?
Plan
I Contexte et enjeux de l’acte III
de la décentralisation
1°) Origines et mise à l’agenda de
l’acte III : le parti socialiste ou le parti des élus locaux
2°) Contexte gouvernemental et
stratégie adoptée : l’acte III couplé à la réforme de l’Etat
3°) Typologie et rationalités des
acteurs engagés dans le processus d’élaboration de l’acte III
II La concertation relative à
l’élaboration du projet de loi comme processus de lutte
1°) Concerter pour éviter les
erreurs des gouvernements précédents
2°) L’enlisement : entre
arbitrages difficiles, fuites et pressions médiatiques
3°) Le parasitage de la
concertation générale par les micro-conflits et les conflits parallèles
III Un acte III en trois
scènes : bilan et orientations
1°) La partition de l’acte III en
trois textes ou la victoire du Sénat et des élus locaux
2°) Entre ruptures et continuités
des orientations des trois textes
3°) L’acte III en est-il un ?
I Contexte et enjeux de l’acte III
de la décentralisation
1°) Origines et mise à l’agenda de
l’acte III : le parti socialiste ou le parti des élus locaux
La
mise à l’agenda de l’acte III de la décentralisation par des socialistes répond
à plusieurs facteurs historiques et contextuels qui vont mener à l’inclusion de
cette réforme dans le programme présidentiel de 2012 de François Hollande.
Tout
d’abord, la relation historique des socialistes avec la décentralisation n’est
pas linéaire. Ainsi la gauche et les socialistes sont historiquement jacobins
durant tout le XXe siècle. Cet attachement à un pouvoir central est issu du
corpus idéologique de la pensée montagnarde couplé à la pensée marxiste.
Cependant, il existe déjà des pensées décentralisatrices dans la SFIO du début
du XXe siècle. Les broussistes, très minoritaires, tenants du socialisme
municipal et de la transformation sociale du bas vers le haut, s’opposent ainsi
aux guesdistes, révolutionnaires et centralistes, et aux jaurésiens.
Outre
ces minoritaires du XXe siècle, la SFIO puis le PS reste avocat de la
centralisation du pouvoir. Cependant le développement de la deuxième gauche et
l’arrivée de Michel Rocard en 1974 au PS renforcent les volontés
décentralisatrices chez les socialistes. Ainsi, les idées du groupe d’action
municipal (GAM), qui promeuvent les thèmes d’une décentralisation vectrice de
plus de démocratie et comme contre-pouvoir à l’Etat central gaulliste,
convainquent François Mitterrand d’intégrer la décentralisation dans ses 110
propositions pour 1981.
La
décentralisation devient alors l’œuvre des socialistes. L’acte I a constitué
« la grande affaire du quinquennat » 1982-1986 puis tous les
gouvernements socialistes se sont attelés à une réforme territoriale avec entre
autre la loi ATR de 1992, la loi Voynet de 1997, la loi Chevènement de 1999, ou
encore la loi démocratie locale en 2002. La victoire pérenne de la deuxième
gauche en interne du PS a profondément inscrit la décentralisation dans les
rationalités du parti. Pourtant, la gauche éloignée du pouvoir entre 2002 et
2012 s’est vue retirer le monopole de la décentralisation. En effet, la droite,
ayant intégré ce mode d’organisation dans son corpus idéologique et ayant
développé une forte base d’élus locaux, relance en 2003 le processus de décentralisation
par ce qu’elle appellera l’acte II.
Ecarté
du pouvoir entre 2002 et 2012, le PS va, par des victoires locales successives,
renforcer sa base d’élus locaux et ainsi remettre la décentralisation au cœur
de ses préoccupations.
Suite
à la défaite du 21 avril 2002, le Parti socialiste s’est progressivement
reconstruit comme le premier parti d’opposition de France. A défaut de pouvoir
remporter les élections présidentielle et législative de 2007, les socialistes
remportent toutes les élections locales et gagnent ainsi la majorité des exécutifs
locaux. Les régionales de 2004 marquent le début de ce cycle victorieux avec 20
régions métropolitaines sur 22 à gauche. Cette dynamique est poursuivie par les
cantonales et municipales de 2008, les
régionales de 2010 et les cantonales de 2011 ; toutes largement gagnées
par les socialistes et leurs alliés. Par conséquent, la majorité des
collectivités territoriales passe à gauche à la veille de 2012 : 21 régions
métropolitaines sur 22, 54 conseils généraux sur 101 et la plupart des grandes
villes.
Cette
situation de domination induit deux conséquences. D’une part, on observe un renforcement
des intérêts locaux au PS et du poids des élus locaux en interne, renforcé par
leurs situations de cumul. D’autre part, les socialistes accèdent à la présidence
de presque toutes les associations généralistes d’élus : l’ADF
(départements avec Claudy Lebreton PCG22), l’ARF (régions avec Alain Rousset,
PCR Aquitaine) et l’ADCF (communautés avec Daniel Delaveau, Président de Rennes
Métropole).
En
plus de ces victoires, on observe un fort mécontentement de la part des élus
locaux de tous bords au sujet de la politique territoriale des gouvernements de
droite, en particulier au sujet de la loi de réforme des collectivités territoriales
du 16 décembre 2010. Ce mécontentement mène à la victoire historique des
socialistes aux sénatoriales 2011. Jean-Pierre Bel, proche de François Hollande
est élu Président du Sénat. Le PS est donc en 2012 bien le parti des élus
locaux, des collectivités territoriales et de leurs représentants au Parlement.
L’apparition
de l’acte III de la décentralisation dans le programme du parti est donc très
logique suite à ces deux facteurs historique et contextuel. La Fédération
nationale des élus socialistes et républicains (FNESR) a pris la tête de la
fronde anti réforme territoriale en 2010. L’idée est d’en finir rapidement avec
ce texte et de lancer un acte III ambitieux face à un acte III manqué par la
droite qui a soulevé le mécontentement unanime des élus locaux.
La
FNESR présente alors un « projet de loi cadre portant organisation
territoriale de la République Française » en juillet 2011. Ce qui n’est
qu’un exposé des motifs présenté par la Présidente de la FNESR, Marylise
Lebranchu, expose trois principes qui seront le corps de l’acte III qui devra
être porté par un gouvernement socialiste en 2012 : la justice sociale (accès service public, reconnaître l’initiative
locale, réforme de la fiscalité locale et de la péréquation), l’efficacité de l’action publique (lisibilité
de la répartition compétences, chefs de file, conférences régionale des
compétences, développement de l’expérimentation, transfert partiel du pouvoir
réglementaire) et une haute qualité
démocratique (abrogation conseiller territorial, de nouveaux modes de
scrutins pour les régions et les départements, loi-cadre sur statut de l’élu).
Cette
proposition est ensuite intégralement transposée dans le projet socialiste pour
2012 qui servira de base pour les Primaires citoyennes de l’automne 2011. Elle
se retrouve donc dans le programme présidentiel du candidat Hollande à la proposition 54. Ce nouvel acte sert alors de
projet phare de la mobilisation des élus pour l’élection présidentielle de
2012.
On
peut enfin analyser cette mise à l’agenda par les quatre rationalités décentralisatrices
énoncées par Patrick Le Lidec (Le Lidec, 2011). La logique d’affichage en
pleine campagne présidentielle reste la rationalité la plus présente mais elle
est articulée aux fortes contraintes des volontés décentralisatrices des élus
locaux et la stratégie de partage du pouvoir qui anticipe les futures défaites
électorales. La dernière rationalité d’évitement du blâme et de transfert de
l’impopularité n’est pas forcément mise ici en valeur mais elle pourra
permettre par la suite au futur gouvernement, en période de forte contrainte
économique, de rejeter une part de la faute sur les collectivités.
2°) Contexte gouvernemental et
stratégie adoptée : l’acte III couplé à la réforme de l’Etat
Suite
à la victoire présidentielle de François Hollande le 6 mai 2012, un premier
gouvernement est formé le 16 mai sous la conduite de Jean-Marc Ayrault.
Marylise Lebranchu, présidente de la FNESR est désignée comme Ministre de la
réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique (MREDFP)
et est chargée de l’acte III de la décentralisation.
Le
choix d’allier réforme de l’Etat, décentralisation et fonction publique n’est
pas nouveau. C’est le retour à une conception proche de celle des années 1990 de
la réforme de l’Etat qui marque la sortie de la logique qui la reliait au
Budget. La décentralisation est donc le nouveau moteur de la réforme de l’Etat
(future modernisation de l’action publique, MAP).
L’exécutif
fait le pari d’un grand Ministère transversal avec autorité sur trois
directions : la direction générale des collectivités locales (DGCL
partagée avec l’Intérieur), la direction générale de la modernisation de l’Etat
(DGME, futur SGMAP) et la direction générale de l’administration et de la
fonction publique (DGAFP). Le MREDFP est renforcé au remaniement
post-législatives d’une Ministre déléguée à la décentralisation, Anne-Marie
Escoffier. La décentralisation peut donc sembler redevenir la « grande
affaire du quinquennat » comme elle l’avait été entre 1981 et 1986.
Cependant,
les premiers choix de répartition des projets du Gouvernement entre les
différents ministres témoignent de l’absence d’unité en ce qui concerne les
collectivités territoriales. Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur est
responsable des réformes relatives aux modes de scrutins locaux et aux
redécoupages des circonscriptions électorales. Le Ministère du Budget est
chargé des réformes financières et fiscales. Enfin, le Ministère de l’égalité
des territoires est chargé des politiques d’aménagement.
Le
choix est donc fait que le MREDFP mènera un nouvel acte de la décentralisation
qui portera sur la réalisation de l’engagement 54 en termes de répartition et
de clarifications de compétences et en termes de réinstauration du dialogue
entre l’Etat et les collectivités. Ce qui est présenté alors comme acte III est
donc à la base amputé de son versant fiscal et électoral renvoyé à des lois non
synchrones.
3°) Typologie et rationalités des
acteurs engagés dans le processus d’élaboration de l’acte III
En
tant que projet de réorganisation des pouvoirs entre Etat et niveaux de
collectivités, cet acte III peut s’analyser comme un processus de réallocation
de pouvoir entre acteurs. La lutte induite par ce processus va s’inscrire dans
une longue période de concertation (analysée en partie II), mais une typologie
des acteurs est nécessaire pour comprendre les évènements de cette période.
Avant
cette typologie, il faut rappeler les quatre mécanismes structurants d’une
réforme des institutions locales (Le Lidec, 2008) : les relations entre
les associations d’élus et les différents organes de l’exécutif (ministères
transversaux et sectoriels), le cumul des mandats locaux et parlementaires qui
renforcent le poids national des élus locaux et de leurs associations, le rôle
du Sénat comme représentant des collectivités locales et la non différentiation
entre les personnels politiques locaux et gouvernementaux. Les réformes des
institutions locales sont donc influencées par des jeux décisionnels
majoritairement autour des élus et de leurs rationalités en mettant au second
plan l’influence des ministères et des directions générales.
Tout
d’abord, on peut déjà observer les concurrences
au sein de l’exécutif entre les différents ministères ayant des
relations avec les collectivités territoriales
Les
ministères transversaux sont en concurrence sur leur
capacité à mettre en œuvre leur processus de réforme globale de
l’administration de l’Etat. Comme on l’a déjà vu le MREDFP est chargé de la réforme de la décentralisation et également
de la nouvelle réforme de l’Etat : la modernisation de l’action publique
(MAP). Son but est résolument décentralisateur mais son versant MAP le pousse à
inscrire cette décentralisation dans une tension constante entre amélioration
du service public et économie budgétaire. Le
Ministère de l’Intérieur est en concurrence avec le MREDFP sur tous les
thèmes concernant les relations avec les élus locaux, concurrence s’incarnant
dans la tutelle partagée des ministères sur la DGCL. Même si l’Intérieur est
historiquement décentralisateur, il fait ici preuve d’une certaine réticence à
la perte de pouvoir progressive des préfets sur l’action publique locale et
tente de conserver le rôle de coordination que ses relais locaux ont. Enfin le Ministère du Budget est lui aussi
historiquement décentralisateur mais est en concurrence avec le MREDFP sur les
éléments financiers. D’une part, il désire que la MAP ne soit qu’un vecteur
d’économies et d’autre part il lutte pour que la décentralisation soit un autre
vecteur d’économie au service de l’assainissement des finances publiques. Tout
cela est fait par le Budget en ralentissant au maximum une éventuelle réforme
fiscale qui diminuerait le pouvoir de l’exécutif sur les collectivités
récemment considérées comme des vecteurs de dérapage de la dépense publique.
De
plus, les relations avec la direction bicéphale de l’exécutif ne sont pas
claires. La gauche n’a plus l’habitude d’être à la fois à Matignon et à
l’Elysée depuis 1993. Ainsi, en ce qui concerne les arbitrages sur la
décentralisation, ceux-ci oscillent entre la Présidence de la République qui a la volonté de contenter les élus
et conserver un soutien stable de ceux-ci et le Premier Ministre qui a le pouvoir de trancher les conflits
interministériels et qui agit parallèlement comme un ministère transversal en
charge de la réforme.
Enfin,
classiquement les ministères sectoriels ne sont pas vraiment enclins à
la réforme et observent une position défensive en ce qui concerne les
transferts de compétence aux collectivités locales. Tout transfert signe une
perte de pouvoir du ministère en charge de la politique et, face à la récente
prise de contrôle de leurs administrations déconcentrées par l’Intérieur, toute
coopération au processus semble dangereuse.
Second
groupe concerné par l’élaboration du projet d’acte III, les associations d’élus ont chacune leur rationalité et les intérêts
de leurs membres à défendre. Le fait que la plupart d’entre elles soit
dirigée par des socialistes complique les négociations et les place au rang
d’alliés naturels du Gouvernement qu’il faut ménager. Cependant, la couleur
politique des présidents de ses associations ne change pas leur rationalité.
Ces associations agissent toutes comme des syndicats de présidents d’exécutifs
locaux. L’adéquation avec l’exécutif national pourrait cependant indiquer à la
fois le degré de connivence avec le personnel gouvernement mais aussi
l’internalisation des conflits au sein d’une certaine famille politique.
Les
grandes associations généralistes représentent chacune
les intérêts de sa catégorie de collectivité. Pour analyser leurs rationalités,
on peut reprendre la typologie d’Albert Mabileau de 1997. L’association des maires de France (AMF) est la plus grande et la plus
puissance association d’élus regroupant 95% des 36700 communes de France.
Dirigée par Jacques Pelissard, Député-Maire UMP de Lons-le-Saunier secondé par
André Laignel, Maire d’Issoudun et ancien Secrétaire d’Etat, l’AMF défend une
position de défense des communes et d’équilibre entre ses différentes
composantes (cf. infra). L’association lutte contre les volontés de centralisations
régionales et départementales des autres collectivités. Mais sa polarisation
plutôt rurale en fait le défenseur l’identité locale, de la lutte contre la
désertification rurale et de la lutte contre la transformation des
intercommunalités en collectivités locales. L’association des communautés de France (ADCF) est une jeune
association dirigée par Daniel Delaveau, Maire PS de Rennes, qui représente les
intercommunalités du territoire. Leurs volontés pour l’acte III s’articulent
autour du développement de l’intercommunalisation et de la mutualisation des
compétences au détriment des communes. L’ADCF bénéficie du mouvement général de
renforcement de l’intercommunalité depuis 1992 et 1999 et se renforce de plus
en plus. La transformation des EPCI en véritable collectivité territoriale est
une idée qui n’y lève que peu d’oppositions. L’Assemblée des départements de France (ADF) est dirigée par Claudy
Lebreton, Président du Conseil général des Côtes-d’Armor. Ancienne association
à la position privilégiée dans la galaxie des associations d’élus, l’ADF s’est
récemment vue contrainte d’adopter une position défensive face à la monté en
puissance des régions au cours des différentes réformes territoriales et face
aux volontés de certains de supprimer l’échelon départemental. L’association des régions de France (ARF)
est dirigée par Alain Rousset, Président PS du Conseil régional d’Aquitaine et
député de la Gironde. L’ARF est la grande gagnantes des précédentes réformes et
de l’orientation annoncée par le Président de la République sur l’acte III.
Leur but va donc être de récupérer le maximum de nouvelles compétences de
l’Etat et des autres collectivités.
Les
associations sectorielles de communes ont un rôle moins important dans
les négociations. Cependant leur poids politique reste intéressant du fait de
la stature de leurs dirigeants et elles structurent les rapports de forces
internes à l’AMF. On peut ainsi reprendre la pyramide des élus énoncée par
Albert Mabileau dresser cette sous-typologie. Les « grands notables » au sommet de la pyramide se
retrouvent au sein de l’Association des
maires des grandes villes de France (AMGVF), dirigée par Michel Destot,
Maire PS de Grenoble, et l’Association
des communautés urbaines de France (ACUF), dirigée par Michel Delbarre,
Sénateur-Maire PS de Dunkerque et ancien Ministre d’Etat. Ces collectivités et
leurs chefs d’exécutif, cumulards par excellence, ont un fort poids sur la
scène nationale et sont historiquement les grands bénéficiaires de la
décentralisation. Leur but est de centraliser au maximum le pouvoir local
autour des grands centres urbains (souvent les capitales de régions). Pour
cela, ils sont les grands avocats des projets de métropole. Les « barons intermédiaires » et
les « vassaux » se
retrouvent au sein de la Fédération des
villes moyennes (FVM), dirigée par Christian Pierret, Maire PS de
Saint-Dié-des-Vosges et ancien Ministre, et au sein de l’Association des petites villes de France (APVF), dirigée par
Martin Malvy, 1er adjoint au maire PS de Figeac, Président PS du
Conseil Régional de Midi-Pyrénées et ancien Ministre. Egalement cumulant des
mandats locaux et nationaux, leur but est de conserver la dimension d’équilibre
des villes moyennes et des petites villes en s’opposant potentiellement à la métropolisation.
Enfin, les « petits élus » représentés
par l’Association des maires ruraux de France (AMRF), dirigée par Vanik Berberian, Maire Modem de
Gargilesse-Dampierre, restent en marge de la décentralisation. Ils sont opposés
à la diminution du rôle de l’Etat et plutôt « embarrassés » par de
nouvelles prérogatives. Les maires ruraux sont également plutôt opposés au
développement de l’intercommunalité contrairement aux précédents.
Enfin
on peut retrouver des associations sectorielles thématiques dont le
poids est plus ou moins fort dans les négociations selon leurs dirigeants. On
peut citer en exemple l’ANEM (élus de montagne, dont le vice-président est
Laurent Wauquiez, ancien ministre UMP), l’ANEL pour les élus littoraux ou
encore le GART (groupement des autorités de transport, dirigé par Roland Riès,
Maire de Strasbourg). Chacune de ses associations ne défend que les thèmes
spécifiques à sa spécialisation et peut ainsi faire modifier radicalement une
des parties d’un texte.
Enfin
pour terminer cette typologie, il faut aborder le cas des acteurs parallèles. Pas pleinement engagés dans les
négociations, leur rôle peut être déterminant sur certains points d’un projet
de réforme des institutions locales.
Le
Sénat occupe une place centrale au sein des négociations
de l’acte III. En tant que représentant des collectivités au Parlement, il est
leur relais de choix sur Paris et est le lieu où est le plus incarné le cumul
entre mandat local et national. Même si la majorité sénatoriale est récemment
passée à gauche, celle-ci est plus incertaine qu’à l’assemblée et également
moins politisée. On pourrait analyser la Haute Assemblée comme un autre relais
syndical des élus locaux au sein du Parlement. De plus, depuis l’acte II de la
décentralisation et la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, les textes
relatifs aux collectivités passent en priorité au Sénat. On observe un pouvoir
de véto essentiel des élus locaux (Le Lidec, 2009) au sein de cette assemblée
qui peut censurer le texte du Gouvernement dès le passage en commission depuis
la réforme constitutionnelle de 2008. Cet effet de véto est renforcé par
l’effet boomerang (Hood) ou de feedback institutionnel qui fait que le Sénat
agit directement sur son collège électoral en favorisant un type de collectivité
par rapport à une autre. Ainsi, pour passer l’étape difficile du Sénat, le
Gouvernement, et en particulier le MREDFP, doit présenter un projet de loi
compromis entre ambition et faisabilité politique.
Les
grandes centrales syndicales de la fonction publique doivent elles aussi
être consultées pour éviter des mouvements sociaux dans les trois fonctions
publiques. Elles ont un rôle limité sur le fond et l’économie générale du
texte. Cependant, elles peuvent être amenées à une négociation très poussée sur
les conditions de transfert de personnel. La gestion de l’acte III par le MREDFP pousse ainsi à donner un rôle
plus important qu’à l’accoutumé aux négociations sociales dans un processus de
décentralisation.
Enfin
les représentants des associations de la société civile n’ont qu’un rôle
limité. Mais leur consultation est incontournable par les différents acteurs du
changement pour éviter les blâmes publics (manifestations et mobilisations
diverses).
II La concertation relative à
l’élaboration du projet de loi comme processus de lutte
1°) Concerter pour éviter les
erreurs des gouvernements précédents
L’élaboration
d’un acte de décentralisation est un processus politique qui peut prendre
plusieurs formes selon les époques. Ainsi, les acte I et II ont préféré la
méthode de « l’onde de choc » (Gaston Defferre) appelée par les
scientifiques « loi locomotive » (Le Lidec, 2005) ou « processus
incrémental radical » (Thoenig, 1982).
L’acte
I a été conduit par Gaston Defferre, Ministre d’Etat de l’Intérieur et de la décentralisation :
N°1 protocole dans le Gouvernement Mauroy. En plus de bénéficier d’une surface
ministérielle que Marylise Lebranchu n’a pas, le projet de loi a très
rapidement élaboré entre le Ministère de l’Intérieur, le Budget, Matignon et
l’Elysée durant l’été 1981. Il est présenté le 27 juillet au premier Conseil
des Ministres de la rentrée 1981 et est déposé à l’Assemblée le lendemain. La
stratégie de « l’onde de choc » a consisté en un vote très rapide
d’une loi cadre (première loi discutée dans la législature après la loi
d’amnistie) pour ensuite dérouler le processus de décentralisation au fil de la
législature. Cette stratégie allant du symbolique au technique a réservé les
négociations et concertations sur les sujets techniques et a politisé – donc
sorti de toute concertation – le corpus de principes de cette décentralisation.
L’acte
II répond assez bien à cette logique. Coordonnée par Matignon, la réforme
constitutionnelle du 28 mars 2003 a été la première pierre de cet acte puis
elle est suivie par plusieurs projets de loi de transferts. Il faut cependant
insister sur le fait qu’en raison de la difficulté d’une réforme
constitutionnelle et du véto potentiel du Sénat, des négociations avaient été
menées en amont de la réforme.
L’acte
III porté par la gauche se place dans le contexte d’un acte III manqué par la
droite : la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités
territoriales. Cette loi, dont les discussions houleuses ont été conduites
devant le Parlement durant toute l’année 2010, était issue des conclusions du Comité
BALLADUR de 2009. Cette stratégie d’appel à un comité d’experts
« indépendants » avait été pensée pour éviter le blâme et la trop
grande influence des élus (Le Lidec, 2009). Pourtant, cet usage n’a pas facilité
les discussions parlementaires et a soulevé de grandes oppositions chez les
élus locaux. Leur sentiment de ne pas avoir été pris en compte dans cette
réforme a pu être analysé comme l’une des raisons du basculement historique du
Sénat à gauche en septembre 2011.
L’élaboration
du projet de loi sur la décentralisation qui sera le corps de l’acte III est
sous la responsabilité du MREDFP et de Marylise Lebranchu. Voulant donc rompre
avec la méthode du gouvernement précédent, il est fait le choix de la concertation
avec tous les acteurs locaux. Outre l’affichage social-démocrate du
Gouvernement Ayrault, cette stratégie est pensée comme un évitement du blâme
généralisé par la participation de tous à l’élaboration du projet de loi.
La
concertation doit alors être conduite par le MREDFP et son Ministère délégué à
la décentralisation durant l’été et la rentrée 2012 pour aboutir à une loi
unique et globale à la fin de l’année. Les discussions parlementaires sont
prévues pour commencer au Sénat début 2013.
Ce
calendrier ne sera pas respecté et la concertation va alors rentrer dans un
enlisement constant.
2°) L’enlisement : entre
arbitrages difficiles, fuites et pressions médiatiques
L’enlisement
de la concertation peut se caractériser par de nombreux décalage du calendrier
et par des modifications substantielles des versions successives du projet de
loi.
Les
collectivités se mobilisent chacune sur des points précis du texte pour
affirmer leur force et tenter d’augmenter ou de conserver leurs prérogatives et
compétences. Chaque président d’association tente de forcer l’agenda médiatique
en imposant ses thèmes. Marylise Lebranchu quant à elle dans son tour de France
des congrès d’élus tente de désamorcer les différentes oppositions pour
préparer les négociations. Ces dernières se bloquent régulièrement à chaque
nouvelle version de texte présenté et plusieurs rencontres sont nécessaires
pour tenter de convaincre chacun des représentants des niveaux de collectivités
et des associations sectorielles.
La
concertation et les négociations sont également compliquées par des arbitrages
complexes et inattendus de la part de la tête de l’exécutif. Les arbitrages du Président
de la République arrivent sans que MREDFP ou même les conseillers de l’Elysée
soient informés des décisions du Président. Les arbitrages du Premier Ministre
mettent du temps à arriver sur les sujets techniques et plusieurs revirements
issus de luttes entre ministères ou entre l’exécutif et les associations
empêchent l’exécutif d’avoir une position unique.
On
peut très nettement analyser ces difficultés d’arbitrage par des luttes
internes entre ministères transversaux sur le contrôle de la réforme et entre
le MREDFP et les ministères sectoriels qui usent de leur inertie pour ne pas
remonter leurs listes de compétences à décentraliser.
Ces
revirements de l’exécutif affaiblissent Marylise LEBRANCHU et rendent la
concertation de moins en moins facile entre le MREDFP et les différents
acteurs. De fuites régulières des pré-projets de loi dans la presse spécialisée
renforcent également les tensions et obligent le Gouvernement à multiplier les
tours de négociations.
Au
fur et à mesure, les différents arbitrages désavouent le MREDFP dans sa
conduite de la réforme et réduisent sa surface ministérielle. Les cabinets du
Premier Ministre et du Président de la République (PR) conduisent des
négociations parallèles d’où sont issues les arbitrages.
De
plus, on peut observer une certaine alliance entre l’Elysée et le Sénat. A ce
sujet, les Etats généraux de la démocratie territoriale, organisés par le Sénat
à dessein de préparer l’acte III, sont un exemple de volonté de cette
institution de contrôler le processus en amont et dépasser le MREDFP. Ainsi, le
discours de clôture du PR vient légitimer cet acte de contournement par
l’exclusivité l’annonce des principes généraux de l’acte III (abrogation du
conseiller territorial, régions comme chef de file des compétences économiques,
Haut Conseil des territoires).
Enfin,
les erreurs de communication de Marylise Lebranchu ne fluidifient pas
l’ambiance générale de la concertation. Ainsi, dans le but d’affirmer son rôle central
dans l’élaboration du texte – et ainsi affaiblir les ambitions de Manuel Valls
sur le contrôle de la procédure –, la Ministre annonce dans une interview
accordée aux Echos, le 24 septembre
2012, que « le texte est prêt ». La concertation n’avait pas encore
commencé.
3°) Le parasitage de la
concertation générale par les micro-conflits et les conflits parallèles
Ces
différents évènements qui ont mené au décalage du calendrier et aux diverses
modifications en termes de fond peuvent également s’expliquer par des conflits
parallèles au texte. Ceux-ci affaiblissent la capacité d’action du MREDFP et
renforcent les tensions entre l’exécutif et les collectivités territoriales.
On
peut tout d’abord observer des micro-conflits inhérents au projet de loi
qui, de par leur intensité, réduisent la capacité du MREDFP à se concentrer sur
le reste du texte. Le cas des métropoles de Marseille, Paris et, dans une
certaine mesure, Lyon est le plus topique. Le cas de Marseille est le plus
révélateur. La volonté de fusionner les sept communautés d’agglomérations
autour de Marseille en une métropole à statut législatif soulève les
oppositions des six EPCI non marseillais. Ce dossier est prégnant dans
l’activité de la Ministre Lebranchu et de son cabinet ; occupant de longues
semaines de négociations avec des élus à la culture politique rude. Ce projet
de métropole occupe un espace qui occulte les autres thèmes de l’acte III et
perturbe les autres versants de la concertation générale en rajoutant des
tensions politiques entre les représentants des diverses associations d’élus.
De
plus, on peut observer d’autres micro-conflits parallèles non reliés au
projet de loi qui exacerbent les tensions entre l’exécutif et les
associations d’élus. Ces micro-conflits concernent surtout la finalisation de
la rationalisation de la carte intercommunale débutée sous le gouvernement
précédent. La volonté de couverture intégrale du territoire national par des
intercommunalité avait été l’un des points de friction les plus important de la
loi du 16 décembre 2010 et de son application. Les conflits locaux sont
nombreux et sont vecteurs de tensions entre les autorités déconcentrées et les
associations d’élus, en particulier l’AMF.
Enfin,
plusieurs conflits majeurs de redéfinition des rapports de force locaux
peuvent être interprétés comme les plus forts déstabilisateurs de la
concertation. L’acte III ne portant que sur la réallocation des compétences,
c’est-à-dire la décentralisation administrative, les autres pans démocratiques
et fiscaux sont d’autres fronts que les associations d’élus défendent face à
d’autres ministères.
D’une
part, le Ministère de l’Intérieur conduit deux réformes relatives aux régimes
électoraux des collectivités locales : la réforme électorale (scrutin
binominal départemental, scrutin intercommunal semi-direct, abrogation du
conseiller territorial) et la loi sur le non cumul des mandats. Si la première
n’a des échos défavorables qu’au Sénat qui reste attaché au scrutin uninominal
cantonal et à l’intercommunalité comme l’union de communes, la seconde vient
redéfinir totalement le rôle et le poids des élus locaux. Il n’est pas sans
rappeler que la légitimité des élus locaux et la force des associations d’élus
s’est construite sur le cumul entre mandat parlementaire et mandat exécutif
local (Dupuy, Thoenig 1983, 1985). Cette réforme parallèle est donc vécue par
les élus locaux comme une diminution de leur pouvoir de négociation et donc
comme une forme de recentralisation implicite par l’exécutif.
D’autre
part, le Ministère du Budget conduit une politique de diminution des dotations
aux collectivités locales dans le but d’assainir les finances publiques. Ajoutée
à la situation économique et financière ressentie comme très difficile par les
collectivités et l’absence d’une décentralisation fiscale, cette politique
budgétaire est également ressentie comme une forme de recentralisation.
C’est
donc pour cela que la concertation relative au projet de loi de
décentralisation apparaît pour les associations d’élus comme le seul moyen de
conserver ou d’accroître leur pouvoir. Il n’est donc pas étonnant que les
luttes internes à la concertation soient les plus virulentes : les
collectivités et en particulier les élus luttent pour leur survie politique.
III Un acte III en trois
scènes : bilan et orientations
1°) La partition de l’acte III en
trois textes ou la victoire du Sénat et des élus locaux
La
stratégie de Matignon et de l’Elysée a été de transférer au maximum le blâme
sur le MREDFP pour s’assurer du soutien des associations d’élus et du Sénat sur
l’acte III et sur les autres réformes en cours. L’annonce de la partition du
projet de loi relatif à la décentralisation en trois projets de loi vient
marquer la victoire du Sénat et des élus locaux. La décision découle de la
volonté de réduire au maximum le risque de refus par la Haute Assemblée du
texte en laissant du temps à d’autres formes de concertations sur les
différentes parties de cet acte III. On peut sentir ici l’intensité des
négociations et la volonté d’affichage de la victoire du Sénat face à Marylise
Lebranchu par l’annonce de cette partition par Jean-Pierre Bel, le Président du
Sénat. Même si la confirmation viendra par la suite du Premier Ministre, ce
non-respect du protocole marque une volonté d’humiliation symbolique du MREDFP
par la Haute Assemblée.
Le
10 avril 2013, trois projets de loi sont donc présentés en Conseil des
Ministres : un premier de
modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles qui sera
discuté au printemps, un second de
mobilisation des régions pour la croissance, l’emploi et la promotion de
l’égalité des territoires qui sera discuté à l’été et un troisième de développement des solidarités
territoriales et de démocratie locale prévu pour être discuté à la fin
2013. Aucune modification substantielle n’a été apportée depuis la version 7 du
texte qui avait été révélée dans la presse avant la présentation du projet de
loi au Conseil d’Etat.
2°) Entre ruptures et continuités
des orientations des trois textes
Les
trois projets de lois sont à la fois éloignés des premières ambitions de la
FNESR d’avant la présidentielle et des premières versions de travail. Il est
impossible d’analyser point par point ces textes et leurs différentes versions.
Mais on peut constater qu’ils sont issus d’une stratégie de désamorçage des
conflits entre collectivités. C’est le fruit de compromis ambigus entre les
acteurs.
En
suivant la théorie de la décentralisation séquentielle de Faletti (Faletti,
2005), on peut qualifier cet acte III de décentralisation administrative. Ce
type de décentralisation est en continuité avec l’acte II de 2003-2004 et la
loi du 16 décembre 2010 qui se sont cantonnés à une redéfinition des
compétences contrairement à l’acte I dont la séquence a été fiscale puis
politique puis administrative (Le Lidec, 2011).
On
observe ainsi de nouveaux principes comme la libre coordination des
collectivités territoriales qui suit une logique de contractualisation de la
répartition des compétences. La concertation est accrue entre l’Etat et les
collectivités grâce au Haut Conseil des Territoires et aux Conférences Territoriales
de l’Action Publique (assez proches des projets de la FNESR). Enfin de
nouvelles structures mettant en valeur la compétitivité des territoires sont
créées à l’image des métropoles. Ces nouveaux principes sont en partie inspirés
du new public management pour ce qui est de la contractualisation et de la mise
en concurrence – très limitée – des territoires. Pourtant cette dimension n’est
pas au cœur de la décentralisation qui s’analyse plutôt comme le résultat d’une
transaction politique (Le Lidec, 2005).
D’autre
part les trois projets de loi, en augmentant les compétences des collectivités,
suivent la logique des lois précédentes de décentralisation. Cette
non-nouveauté témoigne à la fois de la dépendance au sentier (Pierson) des
gouvernements par rapports aux actes précédents et d’un « certain
bricolage institutionnel » (Mabileau, 1997) en utilisant des procédures
classiques de décentralisation. De fait, on retrouve de simples transferts
plein et entiers de compétences – important pour certains (fonds européens,
emplois…) – mais pas d’innonvation comme l’expérimentation et la
différentiation des compétences décentralisées selon les régions. On observe
donc un simple approfondissement de la décentralisation par des modifications à
la marge (chefs de file et retour à la clause générale) et non pas une
modification majeure du logiciel de la décentralisation.
Enfin
établir qui sont les gagnants et les perdants de cette concertation et de
l’élaboration des trois projets de loi ne semble pas simple. Les régions et les
intercommunalités semblent bénéficier le plus de ce nouvel acte avec de plus
grands transferts de compétence au détriment des communes et des départements.
Cependant, les régions perdent à leur tour sur les compétences différées.
Le
compromis qui se dégage de ces négociations n’est encore à son début et les
discussions au Parlement peuvent encore faire bouger les lignes. Les
associations d’élus vont ainsi renforcer leur lobbying auprès de leurs relais
parlementaires pour mener une seconde séquence le lutte qui peut encore changer
l’équilibre général du texte.
3°) L’acte III en est-il un ?
Pour
conclure cette analyse au sujet de cet acte III, il est intéressant de
réfléchir à la légitimité de le nommer comme tel ou simplement « nouvel
acte de la décentralisation » comme a pu le renommer Marylise Lebranchu à
la mi-novembre 2012 en anticipant par sa stratégie de communication la
difficulté prévue de la concertation et de l’élaboration du texte.
Les
trois textes présentés en Conseil des Ministres le 10 avril 2013 constituent
certes une base pour une nouvelle période décentralisation. Mais contrairement
aux deux autres actes, on ne retrouve aucun texte matrice de l’acte. L’absence
de cette « loi locomotive » ou d’un « processus incrémental
radical » n’est pas forcément révélateur de la non-existence d’un acte
III. On peut très bien les analyser simplement en tant que procédure de mise en
mouvement de l’acte et non comme ce qui en constitue sa substance.
S’il
y a acte III, c’est de fait parce qu’il y a changement de logique dans
l’organisation décentralisée de la République. Cette dimension peut valider la
qualité d’acte III aux trois projets de loi avec l’article 1er du
premier projet de loi de modernisation de
l’action publique et d’affirmation des métropoles et de son principe de
libre organisation entre collectivités des compétences décentralisées.
On
peut donc dire qu’il y a acte III du fait de ce nouveau principe fondateur dans
l’organisation de l’action publique décentralisée. Cependant, ce processus ne
recouvre que la dimension administrative de la décentralisation.
Il
serait inexact d’affirmer qu’un acte de décentralisation ne saurait être
complet sans ses trois versants politique, administratif et fiscal. Cependant,
la décentralisation politique est en partie incluse dans le projet de loi de
réforme des scrutins locaux menée par le Ministère de l’Intérieur et est
impactée par le projet de loi relatif au non-cumul des mandats. Dans la même
logique, la réforme de la fiscalité locale qui devrait être prévue dans la
législature devrait faire fonction de décentralisation fiscale.
C’est
pour cela que l’acte III ne peut pas seulement être assimilé aux trois projets
de loi relatifs à la décentralisation et à la MAP. L’acte III est un processus
large qui englobe une grande partie de l’action du Gouvernement et qui devient
grâce à la concertation un grand jeu de pouvoir à somme nulle sur l’ensemble
des politiques relatives aux collectivités.
Conclusion
La
phase de concertation et d’élaboration de l’acte III de la décentralisation
montre véritablement la force des élus locaux dans les processus de réforme des
institutions locales. Cette logique peut tout à fait se renforcer avec cet acte
III en donnant plus de légitimité aux exécutifs locaux dans les négociations
nationales. Cependant la loi sur le non-cumul des mandats risque de réduire
leur force en privant les élus locaux et les présidents d’exécutif d’une
stature nationale.
De
plus, la concertation menée a pâti du manque de surface ministérielle du
ministère qui l’a mise en œuvre. Le MREDFP est une construction ministérielle
intéressante dans l’optique d’une réforme de l’Etat globale qui s’appuie sur la
décentralisation et la fonction publique pour améliorer le service publique. Il
semblerait pourtant qu’une surface ministérielle plus grande (Intérieur ou
Premier Ministre) aurait permis une conduite plus simple des négociations
interministérielles et avec les associations.
La
construction de l’acte III n’est pas encore terminée et les discussions au
Sénat viennent de commencer. Ces dernières vont être un nouveau lieu
d’affrontement des intérêts locaux et l’étude du texte de sortie pourra
permettre d’identifier des gagnants ou des perdants dans cet acte III.
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· GUIULY
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contradictoires : l’exemple du comité BALLADUR sur la réforme des
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la décentralisation », in Revue
française de science politique, 1997, V. 47, N° 3, pp. 340-376
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